La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

Svetlana Savitskaïa, journal de débords
| 16 Jan 2018

Chefs-d’œuvre retrouvés de la littérature érotique : chaque semaine, Edouard Launet révèle et analyse un inédit grivois ou licencieux, voire obscène, surgi de la plume d’un grand écrivain.

Svetlana et ses deux compagnons

Voilà plus d’un demi-siècle que l’homme et la femme voyagent dans l’espace, et voilà plus d’un demi-siècle qu’ils en reviennent vierges : officiellement, aucun rapport sexuel n’a jamais eu lieu à bord d’un vaisseau spatial. Oui, mais officieusement ? On sait que la perspective d’un long voyage vers Mars a amené les agences spatiales à se pencher sur le sujet. L’étude des effets de l’apesanteur sur la copulation est une autre raison de s’y intéresser. Des expériences ont été menées avec des animaux. Alors pourquoi pas avec des êtres humains ?

Une rumeur insistante prétend que, lors d’un séjour en 1982 sur la station Saliout-7, la cosmonaute russe Svetlana Savitskaïa a atteint le septième ciel avec un de ses collègues. L’intéressée a toujours nié. En 1993, Savitskaya a, comme on dit, quitté le corps des cosmonautes pour rejoindre le groupe communiste à la Douma. L’an dernier, elle a entrepris d’écrire ses mémoires et, stupeur !, des galipettes spatiales s’y trouvent bel et bien évoquées. En long, en large et en travers. Une partie du livre reprend le journal de bord que Svetlana a tenu lors de son séjour sur Saliout-7. On y va de surprises en ahurissements. Extrait.

19 août 1982, 17 h 11 52″ UTC
Moteurs du Soyouz T-7 mis à feu. Poussée intense. Joie formidable. Je ne sais pas pourquoi je repense à cette chanson française (de Barbarova ?) : « Tu m’as dit cette fois, c’est le dernier voyage / Pour nos cœurs déchirés, c’est le dernier naufrage / Au printemps, tu verras, je serai de retour / Le printemps, c’est joli pour se parler d’amour ».
20 août, vers 19h00 UTC.
À bord de Saliout, enfin ! Leonid (Popov, ndlr) me regarde bizarrement depuis le début de la mission. Il m’a dit tout à l’heure : c’est bientôt le moment de l’expérience папа мама, te sens-tu prête Svetlana ? Je me demande bien de quoi il voulait parler. De l’expérience de combustion dans les fluides supercritiques ou bien du projet de cristallographie des protéines en microgravité ?
21 août, vers 18h00 UTC.
Leonid me briefe sur le programme élaboré par les ingénieurs de Roscosmos. Le problème, semble-t-il, c’est qu’en apesanteur le moindre coup de reins expédie le partenaire à l’autre bout de la station.
Phase 1. Nous gonflons une sorte de matelas pneumatique en forme de cylindre puis nous nous y glissons face à face. Le tunnel gonflable nous enserre des genoux jusqu’à la taille. La pression exercée semble permettre des rapports sexuels relativement normaux mais pour Leonid, il est difficile de démarrer une érection une fois engagé dans le tunnel, tout comme il lui est malaisé d’entrer dans le tunnel une fois qu’il est en érection. Solution rejetée.
Phase 2, baptisée Missionnaire élastique par Roscosmos. Nous nous plaçons face à face avec une ceinture élastique qui nous rapproche au niveau de la taille. La pénétration est malaisée et difficile à maintenir. Avec la ceinture autour des hanches, la pénétration est plus facile mais il y a des problèmes pour le va-et-vient. Position abandonnée.
Phase 3, dite de la Chevauchée élastique. La ceinture relie maintenant mes cuisses à la taille de Leonid. Je suis assise sur son pubis, mes genoux étant placés de part et d’autre de sa poitrine. La pénétration est difficile, mais une fois que j‘ai réussi à caler mes doigts de pieds sous les cuisses de Leonid, le mouvement de va-et-vient ne pose plus de problème. Leonid a l’air d’apprécier, mais moi j’ai des crampes. Position abandonnée. Leonid proteste. Le centre de contrôle nous dit qu’il est l’heure d’aller dormir.
22 août, vers 9h00 UTC
Comme la Terre est belle vue depuis l’espace ! Je me récite intérieurement le poème de Tioutchev : « Le char volcanien de l’univers / Roule à découvert dans le sanctuaire des cieux / Alors, chaos sur les eaux, la nuit se fait plus compacte / La conscience oblitérée, tel Atlas, presse la terre noire / Et seule l’âme virginale de la Muse / Est agitée par les dieux, de songes qui prophétisent ! ».
Les ingénieurs de Roscosmos ont tiré cette nuit les enseignements de nos échecs et proposent des solutions alternatives. Nous commençons par celle dite de la Cuiller élastique. Je me place dos à Leonid, collé à lui par des ceintures élastiques autour des cuisses. L’expérience est intéressante, mais peu concluante, toujours à cause du mouvement de va-et-vient qui reste problématique. Nous passons à la position Cuiller dans le Tunnel. Nous reprenons le tunnel gonflable mais cette fois je me place de dos. Les préliminaires sont satisfaisants. En revanche, la pénétration est impossible. Par ailleurs le tunnel a tendance à devenir collant à cause de la sueur. Nous dégonflons le tunnel.
Leonid commence à avoir des problèmes d’érection. La Terre nous dit de faire une pause.
24 août, vers 15h00 UTC
Ils appellent cela la Chevauchée aérienne. Je me mets face à Leonid, referme mes jambes sur ses cuisses et coince mes pieds sous ses fesses. Mais à l’approche de la conclusion, un problème surgit : nous avons tendance à lâcher prise. Alexander (Serebrov, ndlr) va récupérer Leonid qui a valdingué à l’autre bout de la station. Foulure de l’articulation interphalangienne proximale. Alexander propose au Centre de contrôle de le remplacer. Le Centre de contrôle refuse.
25 août, vers 9h00. UTC
Leonid ne veut plus continuer les expériences. La Terre accepte finalement qu’Alexander le remplace. Nous tentons la Levrette agrippée. Même position que pour la cuiller élastique, à ceci près qu’Alexander me tient avec ses mains tandis que je coince ses talons sous ses cuisses. Cela me semble prometteur mais Alexander me lâche au moment de conclure. Leonid va le récupérer. Alexander s’est tordu la cheville.
Je propose que nous recommencions mais à trois cette fois, avec Alexander entre mes cuisses et Leonid pour nous maintenir ensemble. Ça n’a pas l’air de les emballer en bas. Ils nous demandent de reprendre les expériences de cristallographie.
Ultime tentative avec Leonid. Nous sommes l’un sur l’autre tête bêche. C’est ce que Roscosmos, et le reste du monde semble-t-il, appelle la position 69. Chacun maintient la tête de l’autre entre ses cuisses et serre ses hanches entre ses bras. Avec ses quatre points d’attache, cette position est très pratique et s’avère particulièrement adaptée à l’apesanteur. Cette position ne permet pas la procréation, cependant elle peut satisfaire d’autres besoins. Leonid m’éjacule dans la bouche. Je recrache. Tout l’habitacle est envahi de gouttelettes de sperme. Mission écourtée.
27 août, 15 h 04 16″ UTC
De retour sur terre. Leonid et Alexander sont dirigés vers l’hôpital. On m’apprend que je vais recevoir le titre de Héros de l’Union soviétique.

Édouard Launet
Chefs-d’œuvre retrouvés de la littérature érotique

 

Soutenez délibéré

[ttfmp_post_list id= »postlist_91″ columns= »3″ type= »post » sortby= »date-desc » count= »-1″ offset= »0″ taxonomy= »category:chefs-d-oeuvre-retrouves-de-la-litterature-erotique » show_title= »1″ show_date= »1″ show_excerpt= »0″ excerpt_length= »default » show_author= »0″ show_categories= »0″ show_tags= »0″ show_comments= »0″ exclude_current= »1″ thumbnail= »top » aspect= »square » paginate= »0″ arrows= »1″ dots= »1″ autoplay= »1″ delay= »6000″ transition= »scrollHorz »]

0 commentaires

Dans la même catégorie

Masters of Sex

Nous sommes à la fin des années 1950, Bill Masters est un gynécologue obstétricien connu pour ses travaux sur la fertilité, et applaudi par la bonne société qui lui doit quelques bébés. Virginia Johnson est une borderline sociale très à l’aise avec sa sexualité et son indépendance économique et affective…

The Naked Director

Pop objets par excellence, les séries s’emparent de la représentation des sexualités et des corps, thématiques ô combien contemporaines. Retour sur cinq propositions aux angles variés. Et pour commencer : The Naked Director.

Nietzsche, Lou et Rée

En 1882, Paul Rée présente Lou von Salomé à Nietzsche. Le coup de foudre est immédiat. Très vite les trois compères envisagent une vie commune. Leur correspondance, dont nous publions quelques fragments, témoigne de la confusion des sentiments qui règne entre eux.