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De quel film Trump est-il le nom ? Épisode 2 : un super méchant de blockbuster ?
| 15 Fév 2017

Quel (anti-)héros de cinéma peut bien figurer le 45ème Président des États-Unis ? Imaginé dans un précédent épisode en créature de dessin et d’animation, il s’impose en Joker de Batman, creepy clown porteur de deux éthiques / esthétiques de l’excès : le baroque et le grotesque, folies où se grimace et se transgresse l’ordre du monde… Mais l’Internet a identifié aussi en Donald Trump un autre super méchant de Gotham, tel que mis en scène par le récent grand adaptateur de la franchise, le surdoué Christopher Nolan, dans le dernier tome de sa trilogie Batman Dark Knight : le colosse masqué Bane, le discours d’intronisation du premier résonnant en écho d’une tirade du second.

Trump n’emprunte pas seulement à Bane ses mots, il en partage l’aventure politique populiste. Rappelons qu’au début du film, Bane fédère la masse des « oubliés » de Gotham, symboliquement terrés dans les égouts de la Metropolis américaine, contre les puissances de Wall Street, avant que sa Révolution ne s’avère Terreur, avec décrets d’autorité et condamnations tout azimut… Tout un programme.

Adepte du clash qui confond l’arène politique et médiatique avec un ring de MMA, Trump se met en scène lui-même comme super vilain. Il se fantasme surhomme guerrier, parangon de violence virile décomplexée, champion de son camp qui s’affronte en duel avec la partie adverse, en quelque Iliade post-moderne. Jusqu’à s’offrir de purs champs/contre champs hollywoodiens – surréalistes surprises réservées par la société du spectacle que ces plans, cadrés de face sur le pupitre, où d’une conférence de presse à une tribune de cérémonie, se répondent un Président et une Star – et avec elle, les personnages devenus culte dont elle porte le souvenir. Après l’épisode Meryl Streep, quels autres dialogues de sourds nous promettent les Oscars ?

Avant même de tels affrontement, Mark Hamill / Luke Skywalker, en prenant la parole pour pasticher la sienne, propulse Trump en pleine Guerre des Étoiles et le conforte en Darth Vader, le Méchant des Méchants dans la mythologie geek globalisée. Et on ne compte plus en effet les détournements (tel celui-ci) qui le rhabillent en Jedi noir tout-puissant, père indigne inspiré du nazisme.

Plus encore, le récent échange avec l’ex-Gouverneur de Californie Arnold Schwarzenegger fait dialoguer le Président avec Terminator him self… (Match remporté par KO par Arnold sur une réplique digne de son collector « hasta la vista baby« ). À moins que ce ne soit avec Conan, le barbare qui triomphe en décapitant un gourou moyenâgeux sanglant ; ou avec le GI de Predator, vainqueur d’une créature extraterrestre maléfique ; ou peut-être même avec l’espion anti-terroriste de True Lies , puisque là encore, le titre est tout un programme trumpien.

Caricaturé en super vilain, Trump porte en réalité un costume trop grand pour lui. Ce n’est pas seulement que le teenager en moi souffre de voir, associée à si pitoyable bouffon, l’imagerie toute chargée d’aura de mes icones eighties. Mais, dans Star Wars comme dans James Bond, qu’il s’agisse du Joker ou des autres ennemis de Batman (le Bouffon Vert, Dr Octopus, Double Face…), tous les antagonistes partagent une qualité que l’on ne peut décemment reconnaître à Trump : ils sont très intelligents – et pas seulement d’une intelligence du succès (intelligence elle-même discutable concernant le business man, tant son hold up électoral remise hors champ toutes les affaires qu’il a perdues).

C’est qu’en effet de tels méchants de cinéma déploient un art de la rhétorique et du complot, et même une vision du monde et une compréhension de la psyché, qui les configurent souvent en intellectuels, notamment face à des super gentils parfois bien bourrins (typiquement Superman face à Lex Luthor, ou dans son duo avec Batman). Les gros bras petits cerveaux servent alors d’armée à ces maîtres d’échec, qui à la faveur des ténèbres, tirent les ficelles et anticipent des plans. Rien de tout cela chez Trump, qu’angoissés, nous avons tous vu accéder au pouvoir suprême comme s’il n’y comprenait rien et faisait n’importe quoi, pilote d’un avion dont il découvre le cockpit…

Trump crée ainsi une synthèse inédite et invente un nouvel archétype de super méchant : riche et manipulateur comme d’autres certes, mais d’une intelligence de brute. Une intelligence de fauve qui tourne en rond enfermée dans la cellule de son ego, suite royale capitonnée où des infirmiers/conseillers en panique tentent de contenir caprices et colères d’Ubu Roi.

Ou peut-être Trump est-il lui-même le « gros bras petit cerveau » d’une intelligence de l’ombre. Tel est le vrai super méchant de ce mauvais blockbuster : Steve Bannon, maître des médias d’extrême droite (le site alt-right Breitbart News), consacré directeur de campagne, couronné stratège en chef. Face au tollé provoqué par sa nomination au Conseil de sécurité nationale, Trump a expliqué qu’on ne l’avait pas bien briefé avant de signer le décret instituant si polémique et dangereuse décision. Une dramaturgie de cinéma à l’évidence, séquence tragi-comique comme inspirée de Docteur Folamour, entre un souverain abruti échappé d’un film des Coen, et quelque conspirateur shakespearien, Iago d’opérette promu Richard III – duo Guignol de la marionnette et du manipulateur qui fait sourire jaune et rire noir…

Si Trump se complaît en Darth Vader, sans aucun doute Steve Bannon figure l’Empereur Palpatine, son maître occulte. Tous deux se revendiquent ennemis du « système » dont ils  sont issus. Diplômé des plus prestigieuses écoles, banquier chez Goldman Sachs, producteur de cinéma, Bannon s’en prend depuis à Washington, Wall Street et Hollywood, comme Palpatine s’est d’abord imposé en Sénateur d’une République qu’il détruit ensuite… Jusqu’à une troublante ressemblance physique, la gueule rongée par la lèpre du cœur, et à cette citation où le gros facho dégueu revendique la comparaison : « Darkness is gook. Darth Vader. Satan. That’s power. It only helps us when they (liberals) get it wrong. When they’re blind to who we are and what we’re doing. » (« Le côté osbcur, ça a du bon. Dark Vador. Satan. C’est le pouvoir. Ça nous aide quand nos adversaires se trompent. Quand ils sont aveugles à ce que nous sommes et ce que nous faisons. »)

L’apocalypse pour programme encore et enfin, puisque c’est bien l’Empire contre-attaque que Steve Bannon annonce, prophète-autoréalisateur d’une Troisième Guerre Mondiale (pour de vrai, eh oui). Tan tan tan, tan ta Tan, tan ta Tan…

Suite au prochain épisode, si tant est que l’Étoile Noire n’ait pas anéanti notre planète d’ici là.

Thomas Gayrard
délibérément… Trump

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