La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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Une nutritionniste engagée
| 08 Mai 2022

Régine Sancelle, nous avions prévu de nous rencontrer il y a deux ans, fin mars 2020. L’irruption de la pandémie et l’annonce du premier confinement nous ont contraints à différer cet entretien. Vos nombreux engagements en France et à l’étranger ne nous ont pas permis de reprendre date plus tôt, mais ce jour tant attendu est enfin venu.

Croyez bien que j’étais moi-même absolument navrée de devoir remettre ce rendez-vous. Sachez que je suis depuis toujours une fidèle lectrice de votre journal et tout particulièrement de vos interviews.

Vous êtes trop aimable! Leur intérêt – si intérêt il y a – tient beaucoup à l’originalité des personnalités que nous recevons et au fait qu’elles se font rares sur les autres médias. Mais parlons de vous. Il y a deux ans vous souhaitiez nous faire part d’une idée très inattendue qui vous est venue – si j’ai bien compris – en constatant la curieuse multiplication dans notre pays des «séminaires de jeûne».

Vous connaissez mon engagement pour une alimentation équilibrée et mes recommandations pour éliminer les effets nocifs de repas trop riches ou d’une soirée bien arrosée. Ne pas hésiter à sauter un ou deux repas, manger plus légèrement, marcher. Pour une tête bien faite, il n’est pas nécessaire de lire mes livres de conseils – même si je les recommande vivement à votre lectorat (rires) – pour savoir ce dont son corps a besoin.

Mais alors, si je vous entends bien, à quoi peuvent bien servir ces séminaires dont vous souhaitiez nous entretenir?

Il est permis de se le demander! Vous savez à peu près comment ils se déroulent?

Je me suis un peu renseignée avant de vous rencontrer, mais il ne serait pas inutile de le rappeler à nos lectrices (et à nos quelques lecteurs).

Comme chacun pourra le lire sur les différents sites proposant ces coûteux séjours, plusieurs options sont proposées:

  1. Jeûne, détox, naturopathie et visualisation créative (!)
  2. Jeûne, naturopathie (encore) et libération des émotions (!!)
  3. Jeûne, naturopathie (toujours) et lâcher du mental (dans la nature?)
  4. Jeûne, naturopathie (on n’en sortira pas) et libération des cuirasses (sic)
  5. Jeûne, naturopathie (j’allais l’oublier!) et méditation pour mincir durablement (le porte-feuilles?)

On sent poindre une légère ironie dans vos propos…

Vous avez remarqué? Mais poursuivons en décrivant les différentes étapes d’une journée type. De la respiration consciente du réveil aux différentes mesures d’avancement de la détoxination (Un point fort: la lecture de la couleur des urines!) on arrive vite au bol d’air Jacquier, aux champs magnétiques pulsés et au modelage du corps. Après quelques ateliers, un temps libre permet de souffler un peu jusqu’à celui du développement personnel. J’en ai déjà listé les activités dans la description des différentes formules, je n’y reviendrai donc pas, mais pour être tout à fait complets, ajoutons-y tout de même la numérologie. Une pause opportune prépare ensuite au temps fort de la fin de journée: le fameux lavement du colon. Il ne reste plus alors aux séminaristes qu’à se détendre devant un film ou quelque jeu de société pour se préparer à un sommeil de qualité.

Un programme bien chargé en effet. Et pendant tout ce temps, les pensionnaires ne s’alimentent pas?

Très peu. Ces jeûnes étant quasiment toujours hydriques, ils ne consomment que de l’eau ou des jus.

Si vous le voulez bien, parlez-nous maintenant de votre propre projet.

Les séminaires que je viens de décrire sont des séjours très coûteux et donc réservés à une catégorie favorisée de la société qui peut se permettre de payer très cher le fait de ne rien manger alors que tant de nos concitoyens ont du mal à se nourrir. Se rassembler ainsi «entre soi» pour se regarder le nombril – et se laver le colon – me posait un vrai problème. Et quel effort – on se le demande! – de ne rien consommer quand, de toute façon, rien ne vous est proposé et que vous pourrez recommencer à vous gaver tant que vous voudrez après cette pause narcissique!

On vous sent un peu critique.

Si peu… J’ai donc décidé d’organiser mes propres séminaires de jeûnes, à la fois plus exigeants et plus utiles à la société. Partant du principe qu’il n’est pas si difficile de se passer de nourriture quand elle est absente, j’ai pensé qu’il serait plus intéressant de mettre les candidats face à une véritable épreuve!

Laquelle?

J’y viens. Au lieu des activités fumeuses citées précédemment, les «séminaristes» assisteront trois fois par jour à la préparation des plats les plus raffinés cuisinés par les plus grands chefs. Elles et ils auront même – moyennant supplément – la possibilité de participer à leur élaboration. Et bien sûr, sans avoir le droit d’y toucher. Celles ou ceux qui céderaient à la tentation seraient immédiatement renvoyé·e·s, sans aucun remboursement bien entendu. Il en sera de même pour celles et ceux qui avaleraient leurs vins pendant les dégustations de grands crus également proposées. Mon idée derrière tout cela étant de créer plusieurs lieux de jeûne de prestige classés de une à trois étoiles en fonction du métier et de la réputation des chefs engagés. Les prix seront fixés de telle manière que les séminaristes se souviennent longtemps de leur jeûne. En outre, ils apprécieront certainement une activité qu’ils ne risquent pas de partager avec le vulgus pecus!

Mais, si je comprends bien et si vos pensionnaires résistent à la tentation, que deviendront les plats préparés?

C’est très simple. J’évoquais il y a un instant la difficulté qu’ont tant de gens à se nourrir. Eh bien, tous ces repas seront immédiatement offerts à des associations, qui auront donc la possibilité de proposer, pour une fois, des menus haut de gamme à leurs pauvres. Et celà, «aux frais de la princesse»! (derniers rires).

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