La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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World in Marseille
| 26 Juin 2018

Il suffirait de peu, doux euphémisme avant que la France ne quitte l’Europe en 2022, pour que le Festival de Marseille ne devienne la première manifestation euro-africaine. Ce peu pourrait être l’obtention de la Vieille Charité, magnifique lieu dominant la ville, vestige de l’Union européenne qui fut d’ailleurs occupée un temps par le festival alors dirigé par Apolline Quintrand puis repris par les autorités locales. Cela permettrait au nouveau directeur depuis 2015-2016, Jan Goossens, d’affirmer plus encore la vocation internationale et tout à la fois locale du festival. La Vieille Charité serait alors la sœur du Mucem qui voit déferler les bus de touristes depuis que le Vieux Port a élargi ses trottoirs pour une promenade méditerranéenne.

Eko Supriyanto, Balabala @ Widhi Cahya, Salihara 2016

Eko Supriyanto, Balabala @ Widhi Cahya, Salihara 2016

En ce mois de juin 2018, il y eut donc le début du FM (Festival de Marseille) qui confirme son envergure. Cela a démarré avec une interrogation, c’est-à-dire avec l’invitation du chorégraphe indonésien Eko Supriyanto. Mais après avoir vu son spectacle Balabala pour cinq danseuses, on comprend mieux le combat mené. On découvre, malgré les défauts chorégraphiques de ce quintette maladroitement déployé dans l’espace, une danse de combat du peuple Tobaru de l’île de de Java, auparavant exécutée par des hommes et ici par des femmes, ancrées dans le sol et fixant l’ennemi. Il se pourrait donc que l’image immuable de la jolie Indonésienne fort délicate et raffinée en prenne un coup.

Eko Supriyanto, Salt @ Witjak Widhi Cahya

Eko Supriyanto, Salt @ Witjak Widhi Cahya

Dans son solo Salt, dédié à l’eau, à l’Océan et aux menaces qui pèsent sur eux, le chorégraphe, pour le coup danseur, plonge dans ses propres profondeurs, puisant dans sa pratique de la plongée sous-marine. Il fut dans le staff des danseurs de Madonna comme beaucoup d’autres et cela ne change donc rien. La vibration de son corps ininterrompue, jusqu’au bout des doigts, sa façon de pondre du sel (rare) sous son tutu avant de redevenir guerrier dans un slip assez sexy cool, nous rappelle que l’Indonésie a droit à la parole dans un monde où les dictatures se déguisent.

Lisbeth Gruwez, Pénélope @ Danny Willems

Lisbeth Gruwez, Pénélope @ Danny Willems

Face à eux, une femme, venue de la Belgique, Lisbeth Gruwez, danseuse un temps pour Jan Fabre, se dresse tout en noir de veuve. Dans son solo Pénélope, sur le toit terrasse de la Friche de la Belle de Mai, elle tourne inlassablement. Non pas comme une derviche tourneuse mais comme une femme qui semble avoir pris dans ses bras élégants et légers toutes les héroïnes du récit homérique. Sa robe noire en surface et blanche dans les dessous, est lourde face au vent de Marseille et pourtant, cette incroyable danseuse n’est pas en deuil puisque sa chorégraphie volontairement resserrée sur des gestes répétitifs et quelques variations bien choisies n’est pas un chant de pleureuse. Ce solo n’est pas un rituel de deuil mais une spirale fièrement et rageusement debout.

Tout le festival est un appel d’air. Que la manifestation intègre de plus en plus de création, avec de nombreuses coproductions et tournées, soutiens sérieux aux artistes, notamment via son réseau européen solide, ne peut que confirmer sa place au niveau international sans toutefois qu’elle néglige son inscription locale avec de nombreux partenaires. Cosmopolite, européen, le Festival de Marseille franchit la Méditerranée.

Marie-Christine Vernay
Danse

Festival de Marseille, jusqu’au 8 juillet. Entre autres, on y verra du 29 juin au 2 juillet une création du chorégraphe belgo-burkinabè Serge Aimé Coulibaly et de la musicienne malienne Rokia Taoré, un projet accompagné par le festival ou encore la création 2018 du compositeur Fabrizio Cassol et du chorégraphe Alain Platel (du 6 au 8 juillet), et une création de Nacera Belaza (les 4 et 5 juillet).

 

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