“2017, Année terrible” : chaque semaine, une petite phrase de la campagne des présidentielles passe sous l’hugoscope. Car en France, lorsqu’il n’y a plus rien, il reste Victor Hugo.
Nul n’est à l’abri d’une bonne surprise. Aussi Jean-Luc Mélenchon prépare-t-il dès maintenant le texte de l’allocution qu’il délivrera le soir du premier tour, alors que la France viendra d’apprendre – à sa plus complète stupéfaction – que le candidat de France Insoumise était arrivé en tête des suffrages. Mélenchon, comme à son habitude lorsqu’il prépare un discours, a jonché des œuvres complètes de Victor Hugo le sol de la pièce où il se tient. Il marche entre les livres en soliloquant.
« Ô peuple aimé ! Je m’adresse à toi ce soir en mesurant bien l’honneur que… ». Non, c’est un chouilla grandiloquent, gardons cela pour le deuxième tour, le cadavre de la mère Le Pen n’est peut-être pas encore tout à fait froid. « Mes chers compatriotes ! Tous les deux ou trois mille ans, le progrès a besoin d’une secousse ; l’alanguissement humain le gagne, et un quid divinum est nécessaire. Il lui faut une nouvelle impulsion presque initiale. Dans l’histoire, telle que la courte mémoire des peuples nous la donne, la réaction chantée par Homère, de l’Europe sur l’Asie, a été la première secousse, le christianisme a été la seconde, la Révolution française a été la troisième. Et ce soir… ». Ah non, merde, je me laisse encore emporter, et puis il ne s’est peut-être pas écoulé deux mille ans depuis la Révolution. (Il sort sa calculette.) Voyons voir, 2017 moins 1789 font … Quoi ? 228 ? Ah mon Jean-Luc, ça ne va pas du tout, ça.
« Françaises, Français ! Les révolutions ne créent point, elles sont des explosions, elles mettent hors de l’homme le fait éternel et intérieur dont la sortie est devenue nécessaire. C’est pour l’humanité une question d’âge. Ce fait, elles le dégagent ; on le croit nouveau parce qu’on le voit ; auparavant on le sentait. S’il était nouveau, il serait injuste ; il ne peut y avoir rien de nouveau dans le droit. Dégageons-les tous ! ». Pas mal, ça, coco. Même Asselineau, Cheminade et Lassalle pourraient souscrire à ce programme. Quoique. Être soutenus par le club des bargeots, je ne crois pas que ça ferait mes affaires.
« L’élément qui apparaît et se révèle principe, telle est l’éclosion magnifique des révolutions ; le droit occulte devient droit public ; il passe de l’état confus à l’état précis ; il couvait, il éclate ; il était sentiment, il devient évidence. Cette simplicité sublime est propre aux actes de souveraineté du progrès. » Non, trop théorique, bordel! Et trop d’adjectifs ! Je recommence.
« Mes amis ! La civilisation a ses quatre vents ; les voilà qui soufflent tous à la fois. Immense ébranlement. On entend le craquement de l’édifice ; les fondations se lézardent, les colonnes plient, les piliers chancellent, toute la charpente penche ; les anxiétés sont inouïes. La question politique et la question nationale s’enchevêtrent ; nos frontières perdues exigent la suppression de toutes les frontières ; la fédération des peuples seule peut le faire pacifiquement, les États-Unis d’Europe sont la solution, et la France ne reprendra sa suprématie que par la république française transformée en république continentale ; but sublime, ascension vertigineuse, sommet de civilisation ; comment y atteindre ? » Ah là, je crois que je tiens vraiment quelque chose. Le problème, c’est que je ne suis pas sûr d’avoir la réponse à la question. Je ferais peut-être bien de ne pas la poser.
« Aujourd’hui, mes amis, le problème monétaire complique le problème social ; des perspectives obscures s’ouvrent de toutes parts, les transmigrations, les déplacements de peuples ; les difficultés sont sans nombre, qui se résoudront un jour en bien-être et en lumière, et qui à cette heure se résument en misères et en souffrances. Telle est la situation. Il n’y a entre l’avenir et nous que l’épaisseur de quelques cadavres utiles à la prospérité publique ; et plus rien ne frémira, et le crédit s’affermira, et la confiance renaîtra, et les inquiétudes s’évanouiront, et l’ordre sera fondé, et gai rossignol et merle moqueur seront tous en fête, et la France sera rassurée quand on entendra la voix d’un petit enfant appeler sa mère morte dans les ténèbres. » Oh là, mon petit Jean-Luc, tu divagues complètement. Et si tu allais plutôt au cinoche ? Bon, un peu de courage, reprenons tout. Et tâchons de rester humble.
« Camarades ! Quand l’homme d’État, accoudé sur sa table, la tête dans ses mains, égrenant des chiffres terribles, étudiant une carte déchirée, sondant les défaites, les catastrophes, les déroutes, les capitulations, les trahisons, les ignominies, la France épuisée d’or, les écroulements, les engloutissements, les désastres, les décombres qui pendent, l’ignorance, la misère, les menaces des ruines, songe à l’effrayant avenir ; quand, pensif devant tant d’abîmes, il demande secours à l’inconnu ; quand il réclame le Turgot qu’il faudrait à nos finances, le Mirabeau qu’il faudrait à nos assemblées, l’Aristide qu’il faudrait à notre magistrature, l’Annibal qu’il faudrait à nos armées ; quand il se penche sur l’ombre et la supplie de lui envoyer la vérité, la sagesse, la lumière, le conseil, la science, le génie ; quand il évoque dans sa pensée le Deus ex machina, le pilote suprême des grands naufrages, le guérisseur des plaies populaires, l’archange des nations en détresse, le sauveur ; il voit apparaître qui ? Un fossoyeur, la pelle sur l’épaule : le capital ! » Un peu long, peut-être. Et je ne vois même plus ce que je voulais dire.
Si je synthétise, ça donne quoi ? « Quand l’homme d’État songe à l’effrayant avenir, il voit apparaître le capital la pelle sur l’épaule, le pilote suprême des grands naufrages. » C’est assez joli, mais je crois que je ferais mieux de m’en tenir là pour ce soir.
Édouard Launet
2017, Année terrible
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