La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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Réduction du stress
| 22 Mar 2017

“2017, Année terrible” : chaque semaine, une petite phrase de la campagne des présidentielles passe sous l’hugoscope. Car en France, lorsqu’il n’y a plus rien, il reste Victor Hugo.

La 19e Conférence internationale sur la réduction du stress oxydant, la balance redox et les antioxydants s’est tenue la semaine dernière à Paris. Deux des congressistes partageaient une chambre à l’Hôtel des Grands Hommes, établissement de la place du Panthéon décoré dans un style Empire. Après avoir présenté une communication intitulée « La longévité peut-elle être modulée par des facteurs exogènes ? », puis mangé un épouvantable canard laqué rue de la Huchette, Franck et Gérard sont rentrés à l’hôtel un peu éméchés. Ils ont regardé BFM d’un oeil vague en buvant les mignonnettes d’alcool du mini-bar, puis ils se sont mis à parler politique. Peu importe de savoir qui de Franck ou Gérard a la parole ici.

– Moi je dis qu’un type qui veut devenir président de la République, c’est soit qu’il est devenu dingue, soit qu’il l’était déjà. Et Macron, je crois que c’est encore pire.

– Pire que quoi ?

– Pire que tout. Tu as vu dans quel état il était à la fin de son meeting à Paris il y a quelques semaines ? Ce type doit se plâtrer les sinus avec une coke extraterrestre.

– Tu veux pas remettre BFM ?

– Et tu as vu ce qu’il dit dans le Figaro aujourd’hui ? (Franck, ou Gérard, attrape l’exemplaire gratuit qu’il a pris à la réception avant le petit-déjeuner et se met à lire.) « Le fondement de la culture française, c’est de prétendre à l’universel. Aller vers Hugo, Gide, Duras, Glissant ou Yourcenar, c’est l’inestimable opportunité donnée à chacun de vivre la vie des autres, de dépasser sa condition. » Tu crois qu’un mec sain d’esprit, ou à jeûn disons, écrirait des choses pareilles ?

– Hugo, je veux bien, mais Gide ?

– Attends ! Après il dit : « La langue française n’est pas un vecteur de rejet. Elle est la condition de notre projet. C’est pourquoi notre pays triomphe lorsque ses écrivains se nomment aujourd’hui Marie NDiaye, Leïla Slimani, Alain Mabanckou et hier Joseph Kessel, Henri Troyat, Guillaume Apollinaire. »

– Henri Troyat ? J’y crois pas ! Il ratisse super-large, le mec.

– Il y a mieux. Écoute bien : « Ce que nous avons en commun, c’est une ambition folle. Cette volonté d’accéder à l’universel est un projet qui nous dépasse. Il n’est pas une université au monde qui ne convie nos romanciers, pas une ville qui ne passe commande à nos architectes, pas un salon sans nos peintres, pas un concert sans que soient joués nos compositeurs. » Il a oublié de parler de nos chanteurs, Mireille Mathieu fait un carton au Japon.

– Bon OK, il est vraiment barré. On remet BFM ?

– Ils sont tous barrés ! Même les journalistes ! (Franck, ou Gérard, se saisit de l’exemplaire gratuit du Point dont l’hôtel a garni chaque chambre.) Accroche-toi, c’est un édito de Franz-Olivier Giesbert sur Fillon. « De quel bois cet homme est-il fait ? Apparemment, rien ne peut lui scier les jambes. Ohé, arbalétriers, vous pouvez ranger vos flèches dans les carquois : M. Fillon est increvable. Plus vous lui tirez dessus, plus vous le renforcez. François Fillon ressemble de moins en moins à son ancienne image de mille-pattes, confit de prudence et de cautèle, avec un pied chez les centristes, un autre chez les libéraux, un troisième chez les gaullistes sociaux. »

– J’aime bien ce « Ohé, arbalétriers ». Ca me rappelle cette vieille chanson, tu sais : Ohé, les arbalétriers ! Préparez les fers meurtriers, ces gens paieront cher leur audace.

– Moi je préfère l’image du mille-pattes, confit de prudence et de cautèle. Des cautèles sur un mille-pattes !

– Tu confonds avec cautère.

– Tu crois ? Il parle de bois et de jambes.

– On s’en fout, non ? Remets-nous la téloche.

Gérard, ou Franck, appuie sur la télécommande. Ruth Elkrief se remet à s’agiter sur l’écran plat.

– Ah non, merde, éteins-moi ça, j’en peux plus. Je préfère encore que tu me lises Le Figaro.

– Ça tombe bien, j’avais pas fini. « Parcourant le pays depuis des mois, que vois-je ? Je vois une France qui n’a pas renoncé à perpétuer les arts et les lettres qui l’ont faite si grande. Elle continue de s’enorgueillir de ses écrivains, de ses peintres, de ses architectes, de ses musiciens, qui forgent, façonnent, dessinent les contours et les reliefs de notre pays. »

– Tu rigoles, c’est Le Gorafi !

– Moi, quand je parcours le pays, je vois des zones commerciales supermochtingues, des SDF et des pubs à la con pour les films américains. On ne doit pas fréquenter le même pays. Et Victor Hugo, bordel, il est où ?

– Juste en face. Tu n’as qu’à regarder par la fenêtre.

– Il est en bas en calèche ?

– Il est au Panthéon, Ducon.

– Bravo pour la rime.

– Ohé, arbalétrier, tire-moi donc un fiole de vodka du freezer, je sens que je commence à prétendre à l’universel.

Édouard Launet
2017, Année terrible

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