“2017, Année terrible” : chaque semaine, une petite phrase de la campagne des présidentielles passe sous l’hugoscope. Car en France, lorsqu’il n’y a plus rien, il reste Victor Hugo.
Délibéré a reçu mardi matin une lettre
dont nous reproduisons ci-dessous l’intégralité.
Mes nobles amis,
La semaine dernière, je me suis engagé auprès de vous à commenter les résultats du premier tour dès qu’ils seraient connus. J’apprécie énormément votre revue, sa qualité, ses intuitions, son génie parfois, et suis sensible à l’honneur que vous m’avez fait en sollicitant ma modeste contribution. Hélas diverses affaires urgentes m’ont empêché de suivre la soirée électorale de dimanche, et, depuis lors, diverses autres ne m’ont pas permis d’en connaître l’issue. Conséquemment, je dois être aujourd’hui la seule personne dans ce pays à ignorer que Tartempion et Tartemolle se sont qualifiés pour le second tour de l’élection présidentielle.
Mais une promesse est une promesse, je me dois donc de vous donner mon sentiment, si peu informé qu’il soit. Et mon sentiment est celui-ci : je crois que la France s’en relèvera. Un de mes amis, Alphonse de Lamartine, a dit un jour qu’en France on se relevait de tout, même d’un canapé. C’était une amabilité qui m’était destinée : je venais d’être pris en flagrant délit d’adultère avec Léonie B., et vous imaginez bien quel était le canapé en question et dans quelle position je m’y trouvais. Eh bien je m’en suis relevé en effet. Je me suis isolé dans mon appartement de la place des Vosges pendant quelque temps et j’ai commencé à écrire ce qui deviendrait Les Misérables. La pauvre Léonie a eu plus de soucis, mais elle s’en est relevée également.
Évidemment Tartempion et Tartemolle ne se valent pas, même si l’un et l’autre ne valent pas grand-chose. Aucun des deux ne me semble en mesure de rallumer un grand rêve, encore moins de le faire devenir réalité. Tout au plus peuvent-ils déclencher quelque catastrophe, l’un plus que l’autre probablement. À mon âge, 215 ans tout de même, on ne croit plus qu’aux rêves et à eux seuls, et on ne craint certainement plus les catastrophes. Un de mes confrères, Mark Twain je crois, a dit que la catastrophe qui finit par arriver n’est jamais celle à laquelle on s’est préparé. Ce à quoi j’ajouterai, édifié par les errements du XXème siècle, qu’un rêve qui finit par se réaliser produit rarement les résultats escomptés.
Il n’a entre ces deux aphorismes qu’une mince place pour l’espoir, et peut-être même pas d’espoir du tout. Ce qui m’amène à vous donner le fond de ma pensée : les périodes électorales sont les pires moments pour se mettre à espérer (dites-vous bien que, même dans l’éventualité où votre candidat préféré serait élu, vous finiriez à coup sûr par être déçus), et ce ne sont pas les meilleurs pour commencer à paniquer (il eût fallu s’y prendre plus tôt). Ce ne sont finalement que des moments de transes, qu’il faut traverser avec philosophie.
Bien sûr, objecterez-vous, voilà des propos qu’il est facile de tenir quand on les tient depuis l’intérieur d’un caveau. Vous direz : c’est irresponsable de se poser ainsi en simple observateur, en penseur détaché et insoucieux des dangers, quand se joue le destin de la Nation. Peut-être même vous exclamerez-vous, dans ce langage contemporain qui fait aujourd’hui mes délices : il peut toujours causer le père Victor, ce n’est pas lui qui va se fader cinq ans avec le gougnafier ou la gougnafière ! Certes. Mais vous m’avez demandé mon avis et je vous le donne. Je vous le donne depuis la position où je me trouve. C’est-à-dire depuis un canapé de pierre où les seuls plaisirs qui me restent sont les plaisirs solitaires. Et de celui-là, je ne me relèverai pas. Et de ceux-ci, je dois me contenter. Profitez de votre bonheur ! Aimez, vous qui vivez ! On a froid sous les ifs.
Lèvre, cherche la bouche ! Aimez-vous, la nuit tombe.
Soyez heureux pendant que nous sommes pensifs.
Votre dévoué,
Victor Hugo
2017, Année terrible
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