Elles ont fait leur apparition en bas des Champs-Élysées, de jolies maisonnettes blanches en bois, avec des toits gris du plus bel effet, sagement alignées sur plusieurs dizaines de mètres au pied de la plus célèbre avenue du monde. C’est une bonne idée du gouvernement pour loger les sans-abris alors que les premières déferlantes du froid s’annoncent… Confort rustique, mais les pieds au chaud, enfin un beau geste social ? Mais non voyons, c’est Hidalgo et la municipalité de Paris qui régalent ! Pas de meilleure promotion : toutes les tentes de l’Arche de Noé ont été remplacées par ces habiles constructions en dur, du bon bois pour passer l’hiver, entre le poêle et le petit lit, le nez sous la couette.
C’est à ce moment là que, marcheur badaud, j’ai été brutalement sorti de ma rêverie sociale et utopique, quasi fouriériste, par les coups de marteau qui, devant moi, révélèrent par pancarte interposée la véritable destination de ces maisonnettes : “Marché de Noël”. Envolées les générosités de la société fraternelle, brisés les élans de la solidarité de tous avec tous. Voici plutôt les héritiers imposteurs des marchés alsaciens de la Saint-Nicolas, où l’on achète depuis la fin du XVIe siècle les cochonnailles, le vin nouveau des dernières vendanges et la bière de Noël brassée spécialement pour l’occasion. Voilà une réincarnation élyséenne du Marché de l’Enfant Christ de Strasbourg, le plus célèbre d’Europe, certifié conforme depuis 1570. Les petites maisonnettes de bois blanc sont donc ouvertes et les touristes y trouvent de la bibeloterie à deux sous made in China.
C’est une sorte de maladie urbaine, une forte fièvre saisonnière : depuis quelques années, le marché de Noël alsacien émigre vers toutes les villes de France. À Marseille, la foire aux santons est ouverte fin novembre depuis le milieu du XIXe siècle, il y a donc quelques raisons. Mais pourquoi infliger à toutes ces villes qui n’ont rien fait au petit Jésus cette défiguration périodique de baraquements mercantiles où, quoiqu’il advienne, on ne trouvera que camelote inutile et sucrerie superflue ? Lyon, place des Terreaux, depuis 1996, La Défense et Les Halles depuis l’an 2000, les Champs-Élysées depuis cinq ans… Et désormais il n’est presque plus de jolies places de Paris sans son marché de Noël. Hier encore, passant place des Abbesses, je fus chassé de ma promenade par les effluves écœurantes de la surproduction sucrée et caramélisée du peuple des gros. Voici venu le temps de la fête sur commande, un mois avant l’heure, où les jolies maisons ne sont que succursales en bois blanc du centre commercial du coin. C’est le masque de l’hyper-capitalisme : il se pare de l’innocence imaginaire, largement frelatée, puisée dans les contes de fées, dans les maisonnettes des sept nains, ou le folklore des petits chalets alpins. L’imaginaire merveilleux ou rural sert à mieux vendre, triomphe définitif des stratèges de campagnes publicitaires.
Cher père Noël, rendez-nous la simple crèche de notre enfance ! Là, on n’y vendait rien.
Antoine de Baecque
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