Le mois dernier, j’avais pris le TGV pour Marseille. J’ai la nostalgie des voyages anciens et des conversations nouées avec d’autres voyageurs, quand les wagons étaient divisés en compartiments de huit places, et toujours l’espoir de faire des rencontres pendant les trois heures que dure le trajet vers la Grande Bleue.
Afin de multiplier mes chances, j’avais donc réservé – comme toujours – un siège dans le placement en Carré (Club Quatre) où j’attendis avec curiosité mes trois futurs voisins.
Il n’en vint qu’un (ou presque comme vous allez pouvoir le constater).
Le train venait juste de démarrer quand un homme d’une cinquantaine d’années plus enveloppé que chevelu, suant et soufflant s’installa à la place 96 (côté couloir) après avoir déposé avec beaucoup de soin un panier tressé sur la place 95 (côté fenêtre) juste en face de moi.
– Nous avons bien failli rater le train! s’essouffla-t-il.
– Vous ne voyagez pas seul? interrogeai-je. On doit venir vous rejoindre?
– Non, nous ne sommes que tous les deux, Maman et moi.
– …Trois avec le chat! répliquai-je finement en biaisant un regard sur le panier.
– De quel chat parlez-vous? Maman n’a jamais eu et n’a surtout jamais voulu avoir d’animal domestique.
– Pardonnez-moi, mais ce panier m’aura trompé.
– Tu te rends compte, Maman, ce monsieur t’a prise pour un chat, susurra-t-il en se penchant vers le panier.
Lisant la surprise dans le pourtant discret haussement de mes sourcils, mon compagnon de voyage crut nécessaire d’ajouter: « Je voyage toujours avec Maman! » Constatant que mes sourcils ne reprenaient pas leur place naturelle, il jugea utile d’ajouter quelques explications.
« Maman avec qui je vivais depuis toujours est décédée il y a trois ans, jour pour jour. Elle ne supportait pas l’idée de me laisser seul au monde et s’inquiétait pour mon avenir. Elle aurait souhaité que nous ne soyons jamais séparés. J’étais moi-même effondré à l’idée de la perdre et lui ai fait le serment que rien ne nous séparerait jamais. J’ai tenu ma promesse! Maman avait demandé à être incinérée. Ce n’est pas un chat qui se trouve dans le panier, mais l’urne qui contient ses cendres! Ce panier me suit dans tous mes déplacements.
Pour marquer le troisième anniversaire de sa disparition, nous partons quelques jours au bord de la mer, ajouta-t-il à voix basse. Mais n’en parlons plus, voulez-vous, c’est une surprise! »
Nous n’en parlâmes donc plus, mais profitâmes (si l’on peut dire) tout de même de ce que la place 93 ne fut jamais occupée pour échanger assommantes banalités et désolants lieux communs.
Je ne gagnais rien au change…
Il ne me restait plus qu’à espérer un public plus bavard dans le Club Quatre du retour.
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