Au moment de boucler notre premier numéro de l’année, nous apprenons la disparition de Maurice Lepoil (1er avril 1946, 31 décembre 2023). Artiste singulier et même unique puisque son œuvre se résume à une seule peinture qu’il a retravaillé jour après jour sa vie durant.
Rappelons brièvement son parcours à nul autre pareil. Adolescent solitaire et renfermé, il s’oriente, un peu par défaut, vers une carrière d’expert comptable, au grand dam de ses parents. À sa majorité (21 ans à l’époque. NDLR), ceux-ci, auto-proclamés peintres du dimanche (“hélas, pas tous les dimanches loin de là!” comme ils se plaisaient à le répéter), désolés de constater son peu d’intérêt pour la culture, lui offrent une toile de 20 figures (60x73cm. NDLR) et une boîte de peinture à l’huile, un peu comme on jetterait une bouteille à la mer…
Ce faisant, ils n’imaginaient sûrement pas que leur fils ne sortirait plus jamais de ce cadre!
En effet, peu de temps après l’avoir reçu, le jeune homme s’empare du cadeau qui l’avait tout d’abord déconcerté et y esquisse un auto-portrait plus vrai que nature. Il prend immédiatement goût à l’exercice, au point de très vite renoncer à la carrière à laquelle il se destinait.
Dès lors, alors que d’autres auraient diversifié leurs sujets et multiplié les toiles il se contentera de corriger son image sur cette même toile, de la préciser, l’affiner et la “mettre à jour“, d’abord chaque matin, puis souvent des jours entiers, ajoutant au fur et à mesure qu’ils apparaissaient les poils de sa barbe naissante, pour les effacer ensuite après qu’il se fut rasé. Et tout à l’avenant!
Les cheveux de son portrait poussaient, puis étaient coupés au rythme de ses passages chez le coiffeur. Plus tard, ils commencèrent à blanchir et à se clairsemer. L’âge venant, des rides apparurent sur la toile, bientôt suivies de taches sur la peau.
Toutes les personnes qui ont eu la chance de voir ce portrait sans cesse remanié ont été saisies par son incroyable ressemblance et frappés par la vie qui s’en dégageait.
Personne n’a jamais su de quoi pouvait bien vivre cet artiste qui n’a jamais envisagé de vendre son œuvre. “Je ne vais tout de même pas me vendre!” répétait-il à l’envi.
Il y a quelques mois, le visage du peintre, frappé par la maladie, s’est creusé et à perdu de la couleur, son image sur la toile s’est émaciée, suivant, comme à chacune de ses transformations, la même métamorphose.
La veille de sa disparition, son médecin lui ayant prédit qu’il ne passerait pas la nuit, il a demandé que son œuvre fut placée près de son lit.
Quand il a été retrouvé le matin, sans vie, au bas de ce qui était à présent devenu son auto-portrait mortuaire, avait été ajouté d’une main tremblante à la place de son nom – qu’il n’avait jamais apposé – l’énigmatique signature “repentir”.
L’artiste ayant spécifié par écrit qu’il souhaitait que son portrait fut incinéré avec sa dépouille, son œuvre disparaîtra avec lui.
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