“2017, Année terrible” : chaque semaine, une petite phrase de la campagne des présidentielles passe sous l’hugoscope. Car en France, lorsqu’il n’y a plus rien, il reste Victor Hugo.
Victor Hugo n’a pas d’antipathie pour Jean-Luc Mélenchon. Mais, lisant et relisant la désormais célèbre interview que ce dernier a donnée à Gala (celle de la salade au quinoa), le poète s’interroge. Qu’a donc voulu signifier Mélenchon en disant : “La cuisine est quelque chose de trop sérieux pour être confiée à Emmanuel Macron. C’est un cerf-volant : il vole haut mais on voit les ficelles” ? Hugo se tourne vers ses voisins de caveau Alexandre Dumas et Émile Zola pour leur tenir à peu près ce langage : “Les amis, je crois que je vieillis. La politique du XXIème siècle m’échappe complètement. Cuisine, cerf-volant, ficelles, rien de tout cela n’a de sens. Et jamais un bel alexandrin … ”
Les os de Dumas remuent et sa voix s’élève, aussi sépulcrale que celle de Hugo : “Ce siècle nouveau révère la cuisine mais n’aime pas trop les ficelles, voilà tout. Ces gens-là ne sont pas de mauvais bougres dans le fond. Rendors-toi, Victor, la politique est morte de toute façon.” Hugo maugrée, tente de se redresser dans son cercueil de pierre, se met à déclamer : “Quand je serai parti, vous répandrez ma loi. Beaucoup se tromperont, l’erreur naîtra de moi. L’ombre est noire toujours même tombant des cygnes. Quand je ne serai plus, vous verrez de grands signes….” Zola le coupe : “Ca suffit Toto ! L’ambiance est déjà suffisamment plombée ici.” À part lui : “Et même pas un quatrième pour un bridge.”
Hugo reprend : “Mélenchon dit plus loin que le dénommé Macron est caricaturalement arriviste, ami du fric et content de l’être. Les ficelles, ce sont peut-être les cordons de la bourse, non ?” Dumas, qui a renoncé à retrouver le sommeil éternel, se lance dans une anecdote : “Un jour j’ai reçu une lettre du conseil municipal de Cavaillon qui, fondant une bibliothèque et désirant la composer des meilleurs livres qu’il pourrait se procurer, me priait de lui envoyer deux ou trois de mes romans qui, dans mon esprit, tiendraient la première place. J’ai répondu que je trouvais tous mes livres bons, mais que je trouvais les melons de Cavaillon excellents et que, par conséquent, j’allais envoyer à la ville de Cavaillon une collection complète de mes œuvres, c’est-à-dire quatre ou cinq cents volumes, mais à la condition que le conseil municipal me vote une rente viagère de douze melons verts. Le conseil, je dois le dire, m’a répondu par retour de courrier que ma demande avait été accueillie à l’unanimité et que je me trouvais avoir une rente viagère, la seule selon toute probabilité que j’aurai jamais. Mélenchon ne dit rien sur les melons ?”.
Hugo, rouvrant Gala : “Non, mais il parle du quinoa. Il dit que c’est la plante de l’avenir et affirme avoir perdu cinq kilos en un mois avec ce régime. Il dit aussi qu’il y a un rapport entre le poids que l’on pèse et le sommeil dont on a besoin, et un rapport avec le sommeil et la mémoire”. Zola : “Vous êtes assommants, les mecs”. Dumas : “Il font du quinoa à Cavaillon ?” Zola : “Et des cerfs-volants ?”
Hugo soupire. Il referme Gala et se rallonge. Pour se rendormir, le poète se récite en lui-même une petite chose de son confrère Bernard Lorraine : “Au bout du fil d’un cerf-volant / il y a toujours un enfant. / Et de source bien informée / généralement on admet / qu’on ne le revoit plus jamais.”
Le silence retombe dans le caveau XXIV du Panthéon.
Édouard Launet
2017, Année terrible
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