“2017, Année terrible” : chaque semaine, une petite phrase de la campagne des présidentielles passe sous l’hugoscope. Car en France, lorsqu’il n’y a plus rien, il reste Victor Hugo.
Hugo : Savez-vous quel est mon souhait le plus cher, mon vieux Dumas ?
Alexandre Dumas : Sortir de cette crypte ?
Hugo : Non. Manger des poireaux. L’hiver, c’est la saison des poireaux.
Dumas : Là où nous sommes, c’est par la racine qu’il faudra les manger.
Hugo : Qu’importe, tout est bon dans le poireau.
Dumas : Je m’étonne que vous me parliez de poireaux quand, dehors, le chaos et le populisme semblent s’installer partout.
Hugo : Que voulez-vous que j’y fasse ? Non, songez plutôt à cela : un beau poireau cuit dans une croûte de sel, servi avec un peu de persil et une ombre d’ail. Hein, Dumas ?
Dumas : En Lorraine, on fait de belles tartes aux poireaux. Il y a même des pays où l’on prépare des ragoûts de poireau, où l’on confectionne avec des poireaux blancs une certaine soupe grasse qui mérite une considération toute particulière.
Hugo : Je veux bien considérer.
Dumas : Mieux : considérez une soupe aux praires ! J’en ai mangé à Naples un jour, elle se fait dans un restaurant de Mergellina, près du château de la reine Jeanne. Vous mettez dans une casserole quatre douzaines de praires, et vous les mouillez avec les trois quarts d’une bouteille de vin blanc. Vous les sautez sur le feu jusqu’à ce qu’elles soient ouvertes. Ensuite vous hachez un morceau de blanc de poireau avec un petit oignon et une gousse d’ail avant de faire revenir dans une casserole avec de la bonne huile, puis vous mouillez tout ça avec la cuisson des praires et environ un litre de bouillon de poisson. Je ne suis pas tout à fait sûr des proportions.
Hugo : Comme j’aime à parler avec vous, Dumas !
Dumas : Attendez, je n’ai pas fini. Vous ajoutez une tomate pelée et hachée, un bouquet de marjolaine et quelques feuilles de céleri vert. Vous faites vivement bouillir le tout pendant dix minutes, vous retirez le bouquet et l’ail, et il suffit ensuite de mêler les praires au potage. Envoyez à part de petits croûtons de mie de pain frits à l’huile, pour accompagner.
Hugo : Ah j’envoie, j’envoie !
Dumas : Tout de même, le monde tel qu’il va m’inquiète au dernier degré. Cette absence d’espoir, cette résignation, ces passions tristes…
Hugo : Frits à l’huile les croûtons ? Pas au beurre, vous êtes sûr ?
Dumas : Non, de l’huile, pas de beurre malheureux ! Tiens, ne craignez-vous pas que l’an prochain, en France, les voix de gauche s’éparpillent entre trop de candidats ?
Hugo : Si, si, j’en suis littéralement consterné, mon vieux. Moi, je pencherais quand même pour du beurre. Et la bouteille de blanc, pourquoi seulement les trois quarts ?
Dumas : J’aime bien boire le reste en cuisinant.
Hugo : Oui, mais avec modération, hein, comme ils disent maintenant. Bon, pour vous répondre : les Macron, Valls, Montebourg, et qui sais-je encore, que proposent-ils de neuf, de grand, d’historique, de monumental ?
Dumas : Mon cher Victor, la question est plutôt : que proposent-ils tout court ? Avez-vous entendu ce que ce Montebourg vient de dire à propos de ce Macron ? “Il en est à sa soixante-quinzième Une de magazine sans avoir fait une seule proposition.” Probable qu’il n’a rien dit sur la soupe aux poireaux. Les autres non plus, d’ailleurs. (Dumas s’esclaffe.)
Hugo : Dumas ! Je vous ai connu plus sérieux, plus concerné.
Dumas : C’est vous qui me dites ça ?
Hugo : Parlez-moi du velouté de cèpes.
Dumas : Ah non, pas maintenant ! Moi, j’essaie de me tenir au courant. Je lis toutes les interviews de Bruno Le Maire par exemple. Je dois être le seul dans ce pays, en dehors de ses attachés de presse. Cet homme est un vrai poète, il vient de déclarer à je ne sais quelle revue agricole : “Les paysages de la France sont façonnés par les champs, il suffit de prendre le train depuis Paris pour se rendre compte que dix minutes après la sortie de gare, la verticalité du béton fait immédiatement place à l’horizontalité et à l’immensité de nos campagnes.” C’est une belle image, j’aime cette opposition perpendiculaire.
Hugo : Le velouté ?
Dumas : J’y viens. Moi, je mets toujours des petits dés de foie gras dessus, juste avant de servir.
Édouard Launet
2017, Année terrible
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