J’entretiens une relation affective forte avec L’Internationale. C’est une des chansons que l’on chante habituellement dans ma famille pour le réveillon du Nouvel An, même si le chœur est plutôt discordant. Mon père la chante avec les paroles des socialistes espagnols des années 30, ainsi qu’il la chantait à l’âge de dix ans quand il était exilé en Belgique ; c’est la même version que celle que connaît Paloma, mon épouse, qui l’a apprise en écoutant son père et les amis de celui-ci, exilés au Mexique. Ma mère connaît la version anarchiste de la CNT, celle que chantaient ses oncles du syndicat des maçons et ses tantes du syndicat des couturières à Gijón. Mon frère Benito et moi-même connaissons la traduction mexicaine que nous chantions à la fin des années 60 ; mon frère Carlos et ma fille, pour leur part, connaissent à moitié un mélange de tout cela. Au dîner, il y a souvent un ami italien et parfois quelqu’un qui l’a apprise en Argentine. De sorte que le chœur, au-delà du fait que nous sommes naturellement désaccordés, présente des variations très bizarres. Certains vont parler des “damnés” de la terre et d’autres des “pauvres”. Mais n’est-ce pas là précisément la clé de L’Internationale ? Un chœur discordant avec des voix aux accents différents et aux langues variées ? J’ai songé à laisser un petit papier avec des consignes pour qu’on la joue à mon enterrement, une version que je crois avoir écoutée, la mémoire me joue peut-être des tours, interprétée par Édith Piaf avec les chœurs de l’Armée rouge. Mais j’ai abandonné ce dessein, je ne veux pas laisser à mes héritiers affligés la tâche impossible de trouver le disque. Ce n’est pas très grave, je sais que je l’aurai en tête au moment de m’en aller.
Paco Ignacio Taibo II
Traduit de l’espagnol (Mexique) par René Solis
© délibéré 2016
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