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Impasse sinistre
| 03 Août 2025

C’est l’affichage spectaculaire qui a inondé il y a quelques mois le Val-de-Marne (94), signalant la disparition de Polyphème, teckel à poils durs – nommé ainsi non pour son gigantisme mais parce qu’il était borgne de naissance  – qui a conduit un policier du Kremlin-Bicêtre à ouvrir une enquête dont l’élucidation laisse pantois.

Cette disparition inquiétante a en effet donné l’idée à ce fonctionnaire peu frileux de rouvrir quelques cold cases.

Reprenant une par une toutes les affaires abandonnées (on se demande bien pourquoi!) depuis des lustres  – Fifi (Bagneux en 2022), Bobine, Quenouille et Scoubidou (respectivement 2019, 2021 et 2023 à Cachan), Léviathan (drôle de nom pour un teckel, Arcueil 2021), Fricadelle et Figatellu (des jumeaux de 3 ans, Villejuif 2020) – pour n’en citer que quelques unes, le policier a cherché s’il n’y aurait pas par hasard un point commun entre elles.

Ayant disposé sur une carte du département des punaises indiquant les lieux des disparitions/enlèvements répertoriés de teckels depuis 2018 (144 précisément, ce qui d’après nos calculs fait tout de même une moyenne de 23,42 teckels par an!), le policier constata que le centre de cette toile se trouvait très exactement au cœur du quartier des Lumières de Cachan.

Le fonctionnaire prit le risque, sous sa propre responsabilité et sans en aviser ses supérieurs, de faire l’acquisition d’un charmant teckel roux à poil ras qu’il baptisa Watson (on est policier, on n’en a pas moins des lettres!) et de lui faire greffer sous l’une des oreilles une puce géolocalisable miniaturisée d’un tout nouveau modèle.

Il ne restait plus à présent qu’à promener Watson en tenue civile (le policier, pas Watson. NDLR) le temps qu’il se familiarise avec le fameux quartier.

Quand aucun trottoir entre la rue Carnot et la rue Lavoisier, du Nord au Sud, et entre la nationale 20 et la rue de la Coopérative, d’Ouest en Est, n’aura échappé à la visite de Watson et qu’aucune voie ni impasse n’aura été oubliée dans son entreprise de marquer scrupuleusement son territoire, son maître jugea bon de le libérer de sa laisse à enrouleur.

À présent détaché, le chien saucisse pouvait voler de ses propres ailes (si l’on peut dire) de la rue de l’Armistice à la rue de l’Espérance. Il ne suffisait plus qu’à attendre et espérer que le voleur de teckels du Val-de-Marne se manifestât!

Patience!

Car il fallut attendre pas moins de trois longues semaines (sept jours chacune, mais si longs les jours!) avant que Watson ne s’écarte de ses voies de prédilection, les rues Ampère et Lavoisier, pour s’aventurer une fin d’après-midi – toujours surveillé à distance par son maître – dans la sinistre impasse du Bon Air.

Une heure, deux heures passèrent. Jamais Watson ne s’attardait si longtemps en un même lieu! Il était grand temps d’intervenir.

Il était bien temps en effet ! Mais pourquoi avoir attendu deux heures? Quand le policier accompagné de deux de ses collègues sonna au n° 13 du lugubre cul-de-sac, il ne se doutait pas que Watson était à deux doigts de passer de saucisse à trépas. La porte finit par s’ouvrir sur la triste figure d’un homme de petite taille engoncé dans une blouse trop grande pour lui et constellée de taches suspectes.

“Il fallait bien que ça se finisse comme ça!” déclara-t-il aux arrivants. “Dommage, mon œuvre était presque achevée”, se contenta-t-il d’ajouter.

Les fonctionnaires trouvèrent Watson endormi sur une table à dissection dans un véritable atelier de taxidermiste avec un congélateur, des armoires pleines de produits chimiques, teintures, résines et tout le matériel de modelage. Une seringue était posée près de la pauvre bête et la potion létale qui devait l’envoyer ad patres était déjà prête à lui être administrée.

“Il aurait pourtant fait bonne figure en tête de mon cortège!” soupira le particulier de plus en plus abattu.

Quand les policiers lui demandèrent plus d’explications sur ses agissements et en quoi consistait ce fameux cortège, il les invita à pénétrer dans le grand hangar se trouvant de l’autre côté de la petite cour à laquelle on accédait par une porte dérobée de l’atelier.

Les policiers n’en crurent pas leurs yeux. Ils étaient tous là: Fifi, Bobine, Filatellu et tous les autres.

“N’est-ce pas admirable?” s’exclama le maître des lieux. “Ah! Ils n’ont pas voulu de moi au Museum, même chez Deyrolle, on s’est moqué de moi! Regardez les, ne dirait-on pas qu’il sont vivants et qu’ils vont aboyer de joie en vous voyant. “ s’enflamma-t-il, “car vous êtes les premiers visiteurs, personne d’autre avant vous n’a pénétré ici. J’attendais de poser la dernière pierre avant de dévoiler mon grand œuvre. Vous êtes arrivés trop tôt. Cette dernière pierre vivra sa vie de chien au lieu de connaître une gloire posthume!”

On en sait à présent plus. M. Gilbert X. dépité que l’on refusât ses services jura « qu’on allait voir ce qu’on allait voir! » Il décida d’investir d’anciens ateliers à Cachan pour y réaliser sa propre galerie de l’évolution. Bien sûr, il n’était pas possible d’y faire rentrer des girafes, hippopotames ou éléphants. Il jeta donc son dévolu sur les teckels ou à défaut des bassets ou welsh corgis. Il écuma donc le Val-de-Marne à la recherche des futurs figurants de sa parade et réussit sans se faire prendre à faire main basse (c’est le cas de le dire) sur les bassets qui passaient à sa portée ou qu’il réussissait à dénicher nuitamment.

Et voilà!

Gilbert X. a été interné à Sainte-Anne. Les propriétaires des toutous naturalisés ont été priés de se faire connaître s’ils souhaitaient récupérer leurs ex-meilleurs amis pour les placer sur les cheminées de leurs pavillons. Quelques voix se sont élevées pour suggérer que l’on laissât tout en place pour en faire un musée. N’était-ce pas en quelque sorte un grand-œuvre d’art brut?

Le musée du facteur teckel?

Photo de la sinistre impasse du Bon-air © Philippe Mignon

© Philippe Mignon

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