Depuis la parution, le 23 février dernier, de notre dossier accompagnant les photos inédites de Trotsky prises au Mexique en 1939, nous avons reçu plusieurs documents qui nous permettent d’en savoir plus sur ces images et sur les circonstances du voyage entre Paris et Mexico de Seva Volkov, le petit-fils de Trotsky, alors âgé de 13 ans. Et d’abord, une lettre, écrite au verso de deux cartes postales dont l’une représente une vue de Taxco, la petite ville à 170 kilomètres au sud de Mexico où Trotsky se rendait volontiers en villégiature. Signée de Marguerite Rosmer, adressée à Daniel Martinet, cette lettre que nous reproduisons livre une précision importante : le séjour à Taxco, pendant lequel les photos ont été prises, date non pas de septembre 1939 comme nous en avions émis l’hypothèse, mais d’août 1939, soit quelques jours après l’arrivée à Mexico de Marguerite et d’Alfred Rosmer, et de Seva qu’ils s’étaient chargés de convoyer depuis Paris.
Les histoires de négatifs égarés puis retrouvés émaillent la grande histoire de la photographie, l’exemple récent le plus fameux restant celui de la valise de Robert Capa et des 4000 négatifs de la guerre d’Espagne, “perdus” depuis 1939 et ressurgis à Mexico en 2007. L’aventure des dix-huit photos pour la plupart inédites que délibéré publie aujourd’hui passe aussi par Mexico, la ville du dernier exil de Léon Trotsky, où il résida à partir de janvier 1937 et fut assassiné le 20 août 1940. Les photos du fondateur de l’Armée rouge pourchassé par Staline à partir de 1929 ne manquent pas et l’iconographie sur son séjour mexicain est déjà bien fournie. Prises en août 1939, les images que nous révélons, au-delà de leur intérêt documentaire, racontent aussi une histoire qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui. Sur plusieurs d’entre elles figure Seva Volkov, petit-fils de Trotsky. Alors âgé de 13 ans, Seva avait été convoyé jusqu’à Mexico, par Alfred et Marguerite Rosmer, amis “historiques” de Trotsky. Seva Volkov, qui va fêter ses 90 ans, habite toujours à Mexico où il préside aux destinées du musée Trotsky. Grâce à Seva – devenu aujourd’hui “Esteban” –, rencontré en novembre 2015 à Mexico, nous avons pu retracer l’histoire de ces photos, de ceux qui y figurent et des circonstances dans lesquelles elles ont été prises. Ce récit est complété par celui de Gilles Walusinski, détenteur de ces images qu’il tenait de son père, lié aux Rosmer.
Sur ces dix-huit photos, une a déjà été publiée par Gilles Walusinski en 2012 sur son blog de Mediapart (et reproduite sans son autorisation par BBC News). Une autre, qui a sans doute fait l’objet d’un tirage d’époque, dans une version recadrée, figure dans le fonds du musée Trotsky à Mexico. Les seize autres sont inédites, de l’avis même des responsables du musée. Léon Trotsky figure sur dix d’entre elles – presque toujours en compagnie de son épouse Natalia – et Seva sur sept. Sur certaines, ils sont accompagnés par Alfred et Marguerite Rosmer. Plusieurs images ont été prises devant la maison de Taxco, à 170 kilomètres au sud de Mexico, où Trotsky et ses proches se rendaient volontiers en villégiature. D’autres dans les environs : le pique nique au bord de la rivière, une promenade en forêt. Restent sept photos où figurent d’autres personnes à l’identité incertaine – Seva Volkov pense y reconnaître Otto Schüssler, l’un des gardes du corps, et sa compagne Trudi – et des paysages. Nous avons fait le choix de publier la série complète. Reste la question de l’identité du ou de la photographe. Esteban Volkov se souvient de Marguerite Rosmer prenant des photos – et prêtant à l’occasion son appareil. Si c’est bien elle, cela pourrait expliquer pourquoi c’est à Paris que les négatifs ont été conservés.
Paris, le 23 février 2016
Seva Volkov ou la mémoire ininterrompue
Petit-fils de Léon Trotsky, balloté toute son enfance entre la Russie, la Turquie, l’Allemagne, l’Autriche et la France, Seva Volkov, alors âgé de 13 ans, est arrivé à Mexico en août 1939 en compagnie d’Alfred et Marguerite Rosmer, des amis de son grand-père. Il est le dernier témoin vivant de l’assassinat de Trotsky par Ramón Mercader, le 20 août 1940, et a vécu plus de trente ans dans la maison de l’avenue Viena, dans le quartier de Coyoacán à Mexico, où il a élevé sa famille. Ingénieur chimiste à la retraite, il a fondé et préside toujours le Museo Casa de León Trotsky. À presque 90 ans, il n’a rien oublié, rien pardonné, et se souvient du séjour à Taxco, peu après son arrivée au Mexique, durant lequel ont été prises des photos jusqu’à ce jour inédites.
Il était dix-huit négatifs…
Pendant plus de quarante ans, Gilles Walusinski a conservé la pochette que lui avait remise son père et qui contenait dix-huit négatifs représentant Trotsky et ses proches au Mexique. Pour lui, ces photos ne sont pas seulement des documents historiques mais une clé qui ouvre sur sa propre histoire, sur celle de son père, Gilbert Walusinski, et de toute une génération de militants révolutionnaires anti-staliniens, regroupés autour du journal La Révolution prolétarienne, animé par Pierre Monatte et Alfred Rosmer. Vieil ami de Trotsky, Rosmer avait prêté en novembre 1938 sa maison de Périgny en région parisienne pour la réunion de fondation de la IVe Internationale. Une maison où Gilles Walusinski enfant a souvent séjourné dans les années cinquante.
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