Hier, ayant travaillé toute la journée à quelque opus posthume, profitant de la douceur de cette fin d’après midi d’automne, je me rendis au parc Raspail (Cachan, 94. NDLR) pour y relire les dernières épreuves du recueil de citations, sentences et aphorismes d’Iphigénin Plomp qui doivent, si tout va bien, paraître avant les fêtes chez un des grands éditeurs historiques de la place de Paris.
Alors que je déclamais à haute voix quelques-unes de ces spirituelles miniatures, un quidam fit son apparition. Pardonnez ma vive curiosité, citoyen, mais quelle désopilante lecture peut bien provoquer chez vous une telle hilarité? Le nom de l’auteur ne provoquant rien de plus chez ce particulier qu’un haussement de sourcil, j’en conclus qu’il n’en avait jamais entendu parler.
Un grand esprit du siècle des Lumières, déclarai-je, un pur enfant de la Révolution, ajoutai-je.
De la Révolution ? La Grande, la Vraie? s’enthousiasma l’individu. Ah ! Ça devait être le bon temps ! Pas une époque de tièdes, de médiocres, comme aujourd’hui! s’enflamma le quidam.
Tiens! Je n’avais pas remarqué qu’il portait pantalon à rayures blanches et rouges, une nouvelle mode sans doute, qui m’aura échappé. Il est vrai que j’attache peu d’intérêt aux dernières tendances d’icelle.
Citoyen, si tu t’intéresses à la Révolution me tutoya-t-il à présent et si tu as un moment libre, viens donc chez moi que nous arrosions cette rencontre!
Tu habites près d’ici citoyen? Emboîtai-je le tu.
Rue de la Liberté! triompha-t-il en levant et brandissant son bonnet phrygien dans la direction du quartier des Lumières.
Tiens! Je n’avais pas remarqué non plus qu’il portât un bonnet phrygien…
Quelques minutes plus tard, entraîné par l’étonnant citoyen fredonnant joyeusement Ah! Ça ira! Ça ira! nous atteignîmes la petite rue si bien nommée.
La guillotine habilement peinte en trompe-l’œil sur la porte d’entrée du petit pavillon de banlieue ne laissait aucun doute. Nous étions bien arrivés!
– Tout le monde s’imagine que la guillotine de la porte d’entrée est habilement peinte en trompe-l’œil, citoyen. Je vois que tu t’es laissé abuser comme les autres. Je ne suis pas mécontent de mon petit effet et c’est tout de même mieux que leurs verisure ou citoyens – pardon voisins – vigilants. Le moins que l’on puisse dire est que mon système de défense tranche dans le vif et coupe court à toute tentative d’intrusion! rigola-t-il.
– Et aucun chat n’a été la victime collatérale de ce dispositif? hasardai-je.
– En tout cas, aucun n’est revenu deux fois! Matés les matous… ou plutôt dématés! pouffa le sans-culotte.
Je jugeai prudent de sourire à sa plaisanterie macabre…
Passée l’inquiétante chatière, on est accueilli par une affiche rappelant qu’il est défendu d’entrer sans cocarde et d’employer ici d’autre qualification que celle de citoyen, AU NOM DE LA LOI!
Pas de problème, plusieurs couvre-chefs – tricornes, bonnets phrygiens – portant le précieux sésame, sont à la disposition des citoyens oublieux.
En outre, on tient le tabac rapé, mais rien n’indique que fumer soit obligatoire!
– Tiens citoyen, prends cette coupe et trinquons à la Révolution et à ce Plomp…
– Plompe, on prononce plompe, citoyen!
– … et à ce Plompe grâce auquel nous voilà réunis. Le vin incarne les idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité!
Entourés d’affiches révolutionnaires, arrêtés, décrets, jugements rendus par le tribunal criminel révolutionnaire et autres souvenirs du bon temps comme ne cessait de le répéter mon hôte en remettant nos coupes à niveau, nous bûmes à notre rencontre.
Le sans-culotte me proposa de visiter son pavillon avant de ne plus être en état.
Tout du moins les pièces maîtresses de son musée révolutionnaire. Je passerai rapidement sur les collections d’images déjà évoquées pour ne citer que les deux installations les plus étonnantes.
Tout d’abord, le mur des condamnés. Aménagé dans la modeste salle à manger, il était couvert du sol au plafond de piques en bois fichées dans des tasseaux cloués au mur. À la pointe de chacune des piques était collée la tête d’un des décapités de la Terreur, ou d’une, puisque l’on reconnaissait parfaitement Olympe de Gouges ou Charlotte Corday. Des coulures de cire rouge apportaient la touche finale à l’ensemble. Chaque figure découpée dans des gravures anciennes était d’ailleurs dûment accompagnée d’une étiquette où figurait le nom des victimes ainsi que la date de leur exécution. Les chefs du couple royal perchés sur de longues brochettes métalliques avaient droit à un traitement spécial.
Qu’en penses-tu citoyen? J’en ai déjà réuni plus d’un millier. C’est peu par rapport aux 17000 qui se sont fait raccourcir en 2 ans, mais ça a déjà de la gueule! Mais viens donc voir le clou de ma collection. Je n’en suis pas peu fier.
Je le suivis jusqu’à la salle de bains, avec je dois l’avouer… un peu d’inquiétude.
Alors, ça t’la coupe citoyen?
Je trouvais que depuis mon arrivée rue de la Liberté, on parlait un peu trop de coupures, mais effectivement ça m’la coupait ! Grandeur nature, une figure de cire représentant Marat dans son bain reproduisait dans le moindre détail la scène immortalisée dans le célèbre tableau de David.
Tu as l’air songeur. Tu te demandes où je prends mes bains? Mais à l’ancienne et à l’eau froide, dans un baquet que j’ai installé dans le jardin. Sacrédieu, Ça fouette le sang! Je te conseille d’essayer citoyen.
Jugeant qu’il serait peut-être opportun de retourner au XXIème siècle, je vidai ma coupe et remerciai le sans-culotte pour son accueil. Il protesta, regrettant que je ne prolonge pas un peu ma visite. On n’a même pas fini l’tonneau! bougonna-t-il.
Au moment même où je lui demandai de bien vouloir me raccompagner à la porte, dont je redoutais un peu le mécanisme, nous entendîmes un violent SCHLAK ! venant de l’entrée, suivi du refrain :
Ah, ça ira, ça ira
Les aristocrates à la lanterne
Ah, ça ira ça ira
Les aristocrates on les pendra
Tiens, nous avons de la visite! déclara le citoyen en éteignant l’alarme et en se penchant sur le panier caché derrière la porte.
Ça alors, c’est bien la première fois qu’un teckel à poils durs essaie de s’introduire chez moi!
Quittant au plus vite le lieu du drame, je me promis à l’avenir de relire les épreuves de mes opus posthumes à mon domicile, plutôt que dans le parc Raspail.
Et tant pis pour la douceur des fins d’après-midi d’automne!










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