Clément Ledoux est un retraité bien tranquille. Depuis six ans qu’il a cessé toute activité professionnelle, il vit paisiblement et profite de sa liberté retrouvée pour lire et s’occuper de son petit jardin potager. Aucun événement ne vient jamais troubler cette quiétude.
Il ne quitte presque jamais sa petite commune du Val-de-Marne – où il ne se passe jamais rien – pour quelque voyage fatigant et inutile. Malgré tout, il a gardé son automobile, dont il ne se sert pratiquement plus, au point qu’il se demande à présent s’il ne va pas s’en séparer. À quoi bon la conserver puisqu’il ne se contente plus que de la changer régulièrement de place en bas de chez lui.
Ce samedi soir, comme chaque semaine, il prend ses clés pour la déplacer. Tiens, il pensait pourtant bien l’avoir garée là la semaine dernière. Mais peut-être s’est-il trompé. Clément Ledoux fait le tour du pâté de maison, une fois, deux fois, puis des îlots environnants. Il sait pourtant bien qu’il ne se gare jamais aussi loin. Il lui faut se rendre à l’évidence: sa voiture a disparu!
A-t-elle été conduite à la fourrière? Impossible. Dans sa commune (où il ne se passe jamais rien, mais nous l’avons déjà dit), le stationnement est autorisé et gratuit. Faire une déclaration un samedi soir? “Ça peut bien attendre lundi matin”, hausse-t-il les épaules…
Un dimanche sans histoire. Vers 15h30, M. Ledoux sort dans le froid de décembre acheter dans sa boulangerie de quartier les “incontournables chouquettes”, fierté du patron, qu’il dégustera devant son téléviseur en suivant la retransmission de la finale du Mondial. Le football le passionne peu. Il regarde parfois des matchs, mais sans jamais mettre le son. Ce qui lui permet d’écouter ses musiques préférées. France-Argentine! Ce sera donc Carlos Gardel. L’Argentine gagne. C’est justice, elle était la meilleure.
Clément Ledoux se couche tôt. Demain, il faudra se lever de bonne heure pour aller déclarer le vol de sa voiture.
Lundi matin, au sortir de chez lui, la surprise est de taille. Il se demande s’il n’est pas le jouet d’une hallucination. Là, garée juste devant sa porte, sa voiture! C’est à n’y rien comprendre. “Qu’à cela ne tienne, puisqu’elle est là, ne nous posons pas trop de questions et profitons-en pour la changer de place”, se dit M. Ledoux.
Tiens le compteur est à 102000 km! Ça, c’est trop fort! La semaine passée elle venait tout juste d’atteindre les 100000 km. M. Ledoux s’en était amusé. Il avait même pris une photo du compteur avec son téléphone!
Le jour n’étant pas encore levé, il ne l’avait pas vu tout de suite, mais en se retournant, sur la banquette arrière, il aperçoit soudain un grand plateau argenté emballé dans du papier cristal. “Qu’est-ce donc que ce nouveau mystère?” se gratte-t-il la tête.
Rentré chez lui, Clément Ledoux dépose l’intrigant plateau sur la table de sa salle à manger, l’ouvre et découvre au milieu d’un copieux assortiment des fameux “13 desserts de Provence” une carte manuscrite avec ces mots:
Bon bou d’an e a l’an che vem
Diéu nous fague la gràci de vèire l’an que vèn,
E se noun sian pas mai, que noun fuguen pas mens !*
Post scriptum: J’ai fait le plein et les niveaux!
Une commune où il ne se passe jamais rien?
0 commentaires