Deux expositions au moins ont rendu hommage à David Hockney ces dernières années, à la fondation Vincent Van Gogh à Arles en 2015-2016 et au centre Georges Pompidou à Paris en 2017. La galerie parisienne Lelong & Co. propose jusqu’au 9 mars un accrochage intitulé « New Photographic Drawings ».
Pour l’essentiel, quatre œuvres de grand format, exposées dans une pièce, chacune occupant un mur. Des « dessins photographiques », comme les appelle Hockney, technique qui lui permet de montrer et de reconfigurer à sa guise des éléments de son environnement.
Ces œuvres semblent fonctionner par paires. Dans les deux premières, Hockney lui-même est présent dans l’image, en maître d’œuvre facétieux d’une scène à laquelle nous sommes conviés. Il est de face, debout dans une pièce improbable où sont réunies – accrochées ou adossées aux murs, exposées sur des chevalets – certaines de ses toiles récentes. Tapis, fauteuil, chaise et tabourets complètent l’ensemble. Les toiles sont pour l’essentiel des paysages, des intérieurs – de ces couleurs très vives propres à l’artiste au sein desquelles son gilet rayé bleu et vert et sa cravate rose s’inscrivent tout naturellement.
Hockney tourné vers nous, donc. Nous présentant un espace subtilement déconstruit, dont le caractère bancal est accentué par ces toiles peintes sur des châssis aux angles inférieurs coupés – illustration de son intérêt pour la perspective inversée. Tout est posé, de manière apparemment aléatoire, en attente de quoi ? On ne sait.
Dans le deuxième volet, le dispositif, quoique très similaire, a évolué – second temps d’une monstration qui n’était encore que virtuelle dans la scène précédente. Deux spectateurs ont fait leur apparition, assis de dos. Ils observent chacun une toile placée sur un chevalet à leur intention, toile qui a quitté son emplacement initial pour se soumettre à leur regard. Les tabourets se sont multipliés, les chevalets semblent avoir pris position, décrivant une sorte d’arc de cercle devant les spectateurs, que l’on devine silencieux, absorbés. Hockney, cette fois, est de dos, bras levés devant une toile qui… n’existait pas en tant que telle dans la première image. Elle résulte, en effet, de la combinaison de deux œuvres distinctes, assemblées comme dans un puzzle pour former une sorte de coupe invitant, peut-être, le regard à élargir sa perspective.
Les tableaux montrés ne sont plus tout à fait les mêmes. Certains – figurant des ciels nuageux – ont disparu, d’autres qui représentent des personnages assis – redoublant à leur manière les deux spectateurs – ont fait leur apparition sur tout un pan de mur.
Pièce tout entière dévolue au regard, à la contemplation, où l’exposition s’exhibe en tant que telle, où le spectateur lui-même est regardé – à son insu ? Pas sûr. Le peintre, lui, se sait vu et se revendique de l’être, surtout quand il nous tourne le dos. Que regarde-t-on alors ? La combinaison picturale qu’il semble nous désigner ? L’artiste lui-même en magicien ? Les spectateurs qui nous renvoient nécessairement à nous-mêmes ? Et où sommes-nous, en fin de compte ? Que faisons-nous en regardant un tableau ? Est-ce l’acte même du regard qui prend le dessus sur son objet présumé ?
La seconde série, qui renforce la théâtralité du dispositif, la rend plus abstraite aussi, plus essentielle peut-être, au travers de chiffres arbitrairement restreints à la dizaine, montés sur des chariots à trois plateaux peints dans les couleurs primaires. Dans la première photographie, les chariots, accompagnés de tabourets également numérotés, sont disposés sur un sol dont la forme renvoie explicitement à la perspective inversée et fait écho à la toile accrochée au mur. Celle-ci reproduit les chiffres dans un espace déstructuré où se déploie, en multiples occurrences, la formule « moving focus ». Tout un programme…
La dernière photographie, enfin, rassemble les motifs des deux séries dans une nouvelle organisation spatiale, thématisée par deux rideaux de scène rouges fermés, posés à la verticale sur le sol sans dispositif d’accrochage. Une scène de théâtre donc, mais dont le rideau est devenu un simple accessoire.
Le dispositif général est étourdissant, jubilatoire, d’une complexité vertigineuse. Il déstructure la perspective de vision, attire le regard sur des objets particuliers, sans lui permettre de construire quoi que ce soit à partir de leur individualité apparemment rassurante. Sans cesse, un autre, un ailleurs vient nous déloger pour, en fin de compte, nous promener dans un espace qui invite à lâcher prise. Pas de hiérarchie, tout est égal, objet, toile, personnage, au sens où tout fait présence. Ce qui semble importer, plus que tout, c’est le geste même de la monstration, qui prend le pas sur ce qui est montré. Au bénéfice, sans doute, d’une démarche qui ne vise pas à connaître, comprendre et approfondir, mais à explorer, peut-être – sûrement – sans idée de rien trouver. C’est ludique, soit, c’est aussi et surtout dérangeant. En même temps, et sans qu’on puisse saisir ce qui entre en jeu, ces dispositifs procurent une satisfaction intense, le sentiment, malgré tout, d’atteindre quelque chose dans le jeu des formes, des pleins et des vides, des couleurs aussi.
Resterait à refaire la promenade en sens inverse, ou en combinant différemment les toiles…
Corinna Gepner
Arts plastiques
David Hockney, New Photographic Drawings, 24 janvier – 9 mars 2019, Galerie Lelong & Co., 13, rue de Téhéran, 75008 Paris; tél. : 01 45 63 13 19
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