« Diogène en banlieue » : Heurs et malheurs d’un prof de philo aux confins du système scolaire.
Le lycée menaçait ruine depuis quelque temps déjà. Les peintures s’écaillaient, il n’était pas rare de voir se détacher des murs auréolés d’humidité de vastes plaques de plâtres. Les professeurs avaient multiplié en vain les rapports alarmants à l’intention du rectorat. Rien n’avait été entrepris pour empêcher l’eau des pluies, abondantes dans cette partie de la France, de s’infiltrer à l’intérieur des bâtiments.
Le 10 janvier le plafond de ma classe s’effondra sous la pression de l’eau. Par chance l’accident eut lieu au beau milieu de la nuit et ne fit que de gros dégâts matériels. L’ordinateur, déjà obsolète, rendit l’âme pour de bon.
Le lendemain matin, le proviseur condamnait l’aile gauche du bâtiment sur les ordres de l’inspection du travail qu’on avait dépêchée sur les lieux en urgence. Cinq ou six autres salles se trouvaient en péril. Il fallut réorganiser les cours en fonction des classes disponibles dans la partie du lycée que les infiltrations d’eau avaient épargnée pour des raisons que seule la divine providence permet de comprendre. Il apparut cependant très vite que tous les cours ne pourraient être assurés. Le nombre de salles libres était insuffisant. On prit la décision de sacrifier dans chaque série les disciplines dites secondaires comme les langues, le français, l’histoire ou la philosophie. Mon cours se trouva une nouvelle fois renvoyé aux calendes grecques. Je dus rester chez moi le cœur gros, désespérant de jamais terminer l’exposé de mon premier sujet de dissertation.
Les travaux de réparation furent menés à bride abattue. On ôta les faux plafonds qui étaient en contreplaqué, on nettoya, on assécha rapidement les caissons, on plaça en hâte des panneaux en polystyrène hautement inflammables. Puis, pour faire bonne mesure, on fila un petit coup de peinture sur les murs jaunis par les ans. Trois semaines plus tard les classes B8, B12, B14 et B16 semblaient comme neuves. On avait fait des miracles.
Quand j’ouvris la porte de ma salle, une forte odeur d’acrylique me rappela les efforts accomplis. Les élèves piaillaient dans mon dos. Ils étaient excités, heureux de reprendre enfin le chemin de la connaissance, tant « Et le désir s’accroît quand l’effet se recule », comme le rappelle un de nos classiques. Je demeurai un instant sur le pas de la porte, ma sacoche dans une main, une craie blanche dans l’autre. J’étais un peu ému de retrouver les bancs de l’école. Il était 8h30 du matin. Il faisait encore nuit.
Je pressai l’interrupteur électrique sans succès. La salle demeura dans les ténèbres. Superstitieux, je croisai les doigts avant de renouveler l’opération. J’avais peut-être mal appuyé sur le bouton, une coupure de courant avait pu avoir lieu à cet instant précis et dans cette classe en particulier. Je retins mon souffle, je pressai d’un coup sec la petite surface en plastique censée commander à la fée électricité. Le succès fut foudroyant. Une boule de lumière blanche courut le long du mur pour remonter ensuite jusqu’au plafond avant de s’éteindre dans un bruit de tonnerre. J’entendis aussitôt jurer les collègues dont les cours jouxtaient ma salle de classe. Tout le bâtiment B venait d’être plongé dans le noir. Quelques minutes plus tard apparaissaient le proviseur, son adjoint et les deux CPE guidés par des lampes-torche. Mais qui, mais qui a fait ça ? répétaient-ils en cœur en se frayant avec difficulté un passage à travers un couloir que les élèves avaient réinvesti en triple hâte. À la consternation des uns répondait l’hilarité des Terminale. J’avais bien malgré moi provoqué un gigantesque court-circuit. Les dégâts des eaux avaient été vite et bien réparés, mais on avait négligé de s’intéresser à l’état des fils électriques.
Évacuation du bâtiment ! Évacuation immédiate ! ordonna le proviseur. La professeure de maths hurla au scandale, se démena tant et si bien qu’elle tomba en syncope, ajoutant au désordre général. Le professeur de physique, plus philosophe comme le sont souvent ceux qui observent la nature, se contenta de hausser les épaules avant d’inviter ses élèves à le suivre dans la cour. Je fis de même avec les miens, ramassant au passage avec trois bénévoles notre collègue de maths.
Quinze ou vingt minutes plus tard, nous nous pressions tous dans la cour de récréation quand une épaisse fumée noire attira notre attention. Elle sortait des fenêtres du deuxième étage et remontait rapidement le long du bâtiment. Puis nous aperçûmes tout à coup la langue d’une longue flamme venir lécher la paroi du lycée. Les élèves ne purent retenir un cri. Leur établissement prenait feu. Aussitôt après, on entendit le bruit mat et puissant d’une fenêtre qui explose puis plusieurs flammes apparurent le long du bâtiment. L’incendie se propageait à vive allure. La panique s’empara des élèves qui partirent à toutes jambes se réfugier au fond de la cour. Déjà des éclats de verre tombaient le long de la façade. Les pompiers arrivèrent dans la foulée, toutes sirènes hurlantes, afin de nous secourir.
Gilles Pétel
Diogène en banlieue
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