“Après une opération chirurgicale, un Italien se réveille en parlant français.” (L’Express)
Alors qu’il n’avait plus pratiqué le français depuis l’école, un Italien de 50 ans ne parle plus que cette langue. Il s’est retrouvé dans ce terrible état après une opération au cerveau. Son cas a fait l’objet d’une étude publiée dans la revue Cortex où l’on découvre que l’homme parle un français très approximatif mais “avec un rythme rapide, en employant une intonation exagérée et en utilisant une prosodie de film faisant de lui la caricature d’un Français”. Tous les matins, au réveil, l’homme crie “Bonjour !” en ouvrant joyeusement les volets et se met à débiter des phrases dans la langue de Molière et Houellebecq devant sa famille désemparée. Cela peut sembler drôle vu de loin, mais les proches doivent en baver. Et puis imaginez que, Français, vous vous réveilliez un matin en parlant un russe exécrable, avec une bouteille de vodka à la main et une gueule de bois vraiment exotique.
Cet Italien serait victime du syndrome de la langue étrangère. À ne pas confondre avec le syndrome de l’accent étranger, un peu plus fréquent. Un soir, une Anglaise de Gloucester part au lit avec un violent mal de tête et le lendemain, à l’heure du petit déjeuner, elle parle avec un accent français très prononcé. Une autre Anglaise, du Devon celle-là, s’est réveillée avec un accent chinois. Cas spectaculaires mais loin d’être uniques : depuis les années 40, les chercheurs ont en effet recensé une soixantaine de mésaventures similaires, Américaine qui, du jour au lendemain, se met à parler avec un accent chinois, Norvégienne qui cause soudain norvégien comme une Allemande, Australienne qui passe pour une Croate après un accident de voiture.
https://www.youtube.com/watch?v=AR_HyIyTSZg
“Sixty Minutes”, Nine Network Australia
Ce syndrome, désormais bien documenté, est généralement consécutif à un accident vasculaire cérébral, une opération ou un traumatisme crânien. Il s’agit vraisemblablement d’une lésion de la zone du cerveau qui contrôle le langage. Cette lésion induit des troubles spécifiques de l’élocution que l’auditeur interprète comme étant un accent étranger. Les mécanismes en restent mystérieux.
Depuis qu’on la prend dans son pays pour une Française, l’Anglaise de Gloucester a fait quantité de découvertes. D’abord que le frenchie n’est pas nécessairement le bienvenu outre-Manche. “Certaines personnes deviennent impatientes avec vous, plus sèches ; même leur langage corporel se modifie face à vous”, a-t-elle témoigné. Chez quelques-uns, les réactions sont ouvertement xénophobes. Mais, pour bien mesurer l’ampleur du préjudice subi par la Britannique, il faut savoir que cette passionnée de foot a dû traverser toute la Coupe du monde 2010 avec l’accent d’un peuple qui traînait sa honte comme une croix (souvenez-vous de cette piteuse “grève” en Afrique du Sud). Heureusement pour elle, son défaut d’élocution s’était quelque peu estompé lors de l’Euro 2016.
Avoir l’accent français quand on est français est un moindre mal. Le cas est courant, sauf chez ceux qui sont atteints du syndrome de l’accent étranger. Mais ces derniers sont extrêmement peu nombreux dans notre pays. Nul au foot, pas doué pour les langues, incapable de prendre un accent étranger même après une chute du troisième étage, le Français est risible. Petite consolation : c’est un gars bien de chez nous, le neurologue Pierre Marie, qui a documenté le premier cas en 1907 dans un article titré “Présentation de malades atteints d’anarthrie par lésion de l’hémisphère gauche du cerveau”. Pour ceux qui ont raté ce numéro de Bulletins et mémoires de la Société médicale des hôpitaux de Paris, rappelons que l’anarthrie est l’impossibilité d’articuler correctement les sons.
On ne connaît pas de Français qui ait chopé instantanément l’accent belge, mais c’est un Belge, le poète Max Elskamp, qui, après la Grande guerre, a écrit cette belle chose : “En ce pays qui nous fut lent / d’accueil, de visage et d’accent / En ce pays très étranger / Où nous n’avons pas su aimer / […] On a vécu comme des frères / Pendant les mois de cette guerre.” (In Memoriam).
Édouard Launet
Sciences du fait divers
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