La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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Biodiversité
| 05 Avr 2017

Le sujet s’était invité dans la campagne présidentielle peu avant le premier débat, suite à un fait divers tragique : dans le Loiret, un vieux monsieur piqué par des frelons asiatiques se trouvait dans le coma. Impossible d’éluder la question, les candidats s’étaient préparés en conséquence. Sans surprise, ce fut la candidate nationaliste qui lança la polémique :

– On ne peut plus se promener à la campagne sans avoir peur. Ils se déplacent en essaims et s’attaquent aux personnes vulnérables. On n’est plus en sécurité chez soi !

Le candidat écologiste l’interrompit :

– Ne cédons pas à l’émotion. La vraie question, c’est la biodiversité. Notre pays a une tradition d’accueil…

Cette fois, ce fut le candidat conservateur qui le coupa :

– Ne réécrivez pas l’histoire ! L’abeille française est un symbole de notre identité, nos souverains l’avaient prise pour emblème d’une nation forte et unie.

– Ceci ne repose sur aucune base scientifique –s’insurgea le candidat révolutionnaire–. L’abeille française est un concept forgé à des fins politiques. Notre pays compte plus de mille espèces sans compter les bourdons, qui sont les grands oubliés de cette campagne. De toute façon, les frelons ne sont pas des abeilles !

– N’essayez pas de diviser les Français…

– Au contraire –s’indigna la candidate nationaliste–. Ces frelons-là s’en prennent justement à nos abeilles, d’honnêtes ouvrières qui ne demandent qu’à faire leur miel. A ce train-là, les ruches seront bientôt désertes, plus personne ne voudra polliniser !

– Le frelon européen s’en prend aussi aux abeilles –fit le remarquer le candidat socialiste.

– Ce n’est pas parce que nous avons nos délinquants qu’il faut accueillir ceux des autres –trancha le candidat conservateur.

– Je préfère un tueur d’abeilles de chez nous qu’un étranger. C’est aussi ça, la préférence nationale !

Le candidat centriste n’avait pas encore pris la parole, il nuança :

– Ne généralisons pas : tous les frelons asiatiques ne tuent pas des abeilles. Je suis certain qu’une cohabitation pacifique est possible…

– On sait comment ça finit –rétorqua la candidate nationaliste–. Comme pour les carpes !

Il y eut un silence embarrassé. Les conseillers en communication avaient espéré ne pas en arriver aux carpes mais la candidate nationaliste ne reculait devant aucune provocation :

– Elles aussi viennent de Chine. Mais introduites depuis plus longtemps, par les Romains, à des fins alimentaires. Aujourd’hui, elles ont envahi nos étangs, sont impropres à la consommation et c’est elles au contraire qui se nourrissent de nos poissons. Vous avez vu leur taille ? Ce n’est pas en Chine qu’elles engraisseraient comme ça ! Je comprends qu’elles se trouvent mieux chez nous…

– Je tiens à rappeler que les carpes nettoient le fond des étangs, ce qu’aucune de nos espèces domestiques ne veut faire –ponctua le candidat révolutionnaire en martelant son pupitre.

– Au contraire, elles remuent la vase, les eaux sont si sales que nos poissons doivent déménager –persifla le candidat conservateur.

– Encore une fois, vous généralisez –intervint le candidat écologiste, le seul à avoir travaillé la question–. Regardez !

De derrière son pupitre, il tira un bocal qu’il posa devant lui. Le présentateur lui demanda de quoi il s’agissait :

– Une carpe argentée. L’espèce a été domestiquée et sert à nos pisciculteurs pour dépolluer les bassins d’élevage. Elle filtre les eaux et cohabite parfaitement avec les autres espèces. C’est un modèle d’intégration !

Devant l’évidence, la candidate nationaliste fit marche arrière :

– Quel rapport avec le frelon asiatique ? Lui ne travaille pas et refuse de s’adapter à notre apiculture !

– Ce n’est peut-être qu’une question de temps –suggéra le candidat centriste–. Il en faut pour réussir une assimilation. Peut-être qu’on ne fera bientôt plus de différence entre le frelon asiatique et le nôtre.

– Ça m’étonnerait –ricana le candidat conservateur.

Et comme personne ne renchérissait de peur de comprendre qu’il voulait dire, il se justifia, l’air embarrassé :

– Les frelons asiatiques sont noirs.

Nouveau silence. Et puis, le candidat révolutionnaire hurla :

– C’est du racisme ! Vous faites de la discrimination au faciès ! Je m’étonne que vous n’ayez pas encore parlé des écureuils gris…

– C’est un procès d’intention. Les écureuils américains font concurrence à nos charmants écureuils roux mais j’aurais pu aussi bien évoquer les algues vertes…

– Ou les rats noirs ?

La candidate nationaliste saisit la balle au bond :

– Parlons-en, des rats noirs. Vous savez combien de portées une femelle peut avoir par an ? Six ! Et combien de petits par portée ? Jusqu’à dix ! Comment croyez-vous que nous allons les nourrir ? Nous n’avons pas les moyens !

– Et d’où vient l’espèce ? –maugréa le candidat conservateur en dévisageant le candidat socialiste, un ancien mao–. Encore de Chine, comme par hasard…

Le candidat écologiste se sentit obligé de préciser :

– D’Inde, plutôt. Ce sont les rats bruns qui viennent de Chine. J’imagine que ceux-là vous gênent moins ?

La candidate nationaliste prit un air offensé. Levant un doigt en l’air, elle expliqua doctement :

– Historiquement, ce sont les rats noirs qui colportent la peste…

–Arrêtez de jouer toujours sur les mêmes vieilles peurs –grommela le candidat socialiste. Elle l’ignora, et reprit :

– Et puis, je n’ai rien contre la Chine en particulier. Nous pourrions parler du ragondin d’Amérique du Sud qui provoque de gros dégâts écologiques, ou de l’écrevisse américaine qui menace de disparition notre noble écrevisse si gouteuse. Le grand remplacement est en marche !

– N’exagérons rien. Notre pays est un grand pays qui a survécu à d’autres invasions dans le passé –pontifia le candidat conservateur.

– Si je suis élue, j’interdirai aux espèces colonisatrices l’entrée sur le territoire.

–Plus facile à dire qu’à faire –se moqua le candidat socialiste–. Comment allez-vous vous y prendre ?

– En renforçant les contrôles aux frontière.

– C’est la crise : il faut réduire le nombre de fonctionnaire, pas en rajouter –proclama sur un ton solennel le candidat conservateur.

– Aucune création de postes : voilà comment nous procèderons.

De derrière son pupitre, elle tira une cage. Le présentateur lui demanda de quoi il s’agissait :

– Une buse, comme celles qu’on utilise sur les tarmacs des aéroports pour éloigner les passereaux. On les dresse à chasser les ragondins et autres visons d’Amérique.

Un fou rire secoua le public :

– Des buses aux frontières ?

–Il n’y a pas de quoi rire –glapit-elle–. J’exige du respect pour nos forces de l’ordre, qui font un métier difficile !

– C’est efficace pour les écrevisses ? –ricana le candidat révolutionnaire dans sa barbe.

Le candidat socialiste croyait en la dignité des débats, il revint au sujet :

– Vous partez d’un constat erroné : les ragondins sont ici depuis longtemps. Ils ont contribué à notre économie, nous les avons introduits nous-mêmes pour leur fourrure.

– Si je suis élue, il y aura une loi contre ceux qui aident les espèces invasives à entrer illégalement sur notre territoire. Ceux qui relâchent leurs poissons rouges dans les étangs seront poursuivis !

Le candidat centriste se voulut conciliateur :

– Pourquoi pas plutôt des quotas ?

– Je n’ai pas les chiffres en tête –se moqua le candidat écologiste– mais il me semble que les entrées de carpes sur le territoire sont négligeables dernièrement.

– Vous n’en savez rien –éructa la candidate nationaliste– : et l’immigration clandestine ?

Elle but une gorgée d’eau avant de reprendre plus calmement :

– Vous n’ignorez pas que les passeurs creusent des tunnels sous nos frontières. La seule solution, c’est un mur qui devra descendre à une profondeur que nos experts ont calculée au centimètre près pour empêcher les rats de passer.

Et pour étayer ses dires, elle montra à la caméra un schéma de mur compliqué. Il y eut un murmure dans le public, avant que le candidat révolutionnaire reprenne, le ton grave :

– Ils creuseront plus profond. Vous l’avez dit vous-même : des espèces allochtones arrivent chez nous depuis des siècles. On ne peut pas lutter contre, et ce n’est certainement pas un mur qui empêchera les animaux de chercher un meilleur habitat dans notre pays.

– C’est pourquoi il faut mieux contrôler ceux qui s’y trouvent déjà –intervint le candidat conservateur–. Dans mon programme, je propose une solution.

De derrière son pupitre, il tira un panier. Le présentateur lui demanda de quoi il s’agissait.

– C’est un chat. Un chat bien de chez nous : un Chartreux.

– Respectez le principe de laïcité ! –exigea le candidat révolutionnaire.

– On dirait un chat de gouttière –remarqua le candidat centriste.

– Je ne vous permets pas !

– Un croisement, probablement –intervint le candidat écologiste, qui s’y connaissait– : le pelage est trop clair. Il doit avoir de l’Abyssin…

– Je vous ferai un procès en diffamation !

– Pourquoi ? Après tout, nous sommes tous produits du métissage –provoqua le candidat révolutionnaire. Et plus calmement– : que voulez-vous en faire ?

– La chasse aux rats !

Le candidat socialiste fit la moue :

– Vous croyez qu’il fera la distinction entre les différentes espèces ? Je vois venir la répression indiscriminée…

A ce moment-là, un cri retentit dans le studio. Tous les yeux se tournèrent vers une jeune fille du public qui venait de se lever en hurlant : « un rat ! ». En effet, un rongeur se faufila entre les caméras, provoquant la panique. Le candidat conservateur s’écria :

– Vous allez voir ce que vous allez voir ! Va chercher, Général !

Et il lâcha son chat, au moment où la candidate nationaliste hurlait :

– Ne faites pas ça ! C’est une souris blanche !

Trop tard : le chat venait de la rattraper.

– J’en étais sûre : ce bâtard est un islamo-gauchiste !

Et elle lâcha la buse :

– Attaque, Baron Rouge !

Il s’ensuivit un affolement au cours duquel le bocal du candidat écologiste fut renversé. Chacun se précipita pour sauver la carpe qui étouffait, sauf la candidate nationaliste, trop occupée à rattraper sa buse prise de panique qui s’était mise à distribuer des coups de bec à n’importe qui.

Une page de publicité fut tournée, le temps que le calme revienne. On ramassa les dépouilles de la souris blanche et du chat, on enferma la buse dans une loge, la candidate nationaliste quitta le plateau en signe de protestation. Puis, on passa aux questions de politique internationale.

Sébastien Rutés
Élection présidentielle

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