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Fashion Freak Show : #OnEstTousBeaux
| 13 Jan 2019

Réseaux sociaux, blogs, téléphones mobiles… Je scrute nos couacs relationnels, nos dérives de comportements, nos tics de langage – toutes ces choses qui font que, parfois, je préfère me taire.

Une amie qui avait vu le spectacle de Jean Paul Gaultier, Fashion Freak Show aux Folies Bergère, m’avait dit : bof. Un propos d’autant plus étrange que son émettrice aime les spectacles et travaille dans un grand groupe de mode. Comme je m’étonnais de son propos, elle précisa : « Le spectacle ne m’a pas emballée, et j’ai détesté par dessus tout l’aménagement de l’entrée. On s’y croirait dans un souk : des bricoles pour gogos. »

Dans le hall des Folies Bergère #jpgFashionFreakShow

Le Fashion Freak Show est le récit de la vie de Jean Paul Gaultier par lui-même, mis en scène grâce à des talents pluriels – des danseurs venant de divers horizons, la chanteuse Demi Mondaine, la metteuse en scène Tonie Marshall.

JPG flirte depuis toujours avec la culture populaire – le jean, la marinière –, également en habillant des égéries de la pop culture comme Madonna, Beth Ditto, Conchita Wurst, Yvette Horner. Son spectacle se veut d’ailleurs très feel good, clamant que « tout le monde est beau » – ça peut paraître un peu benêt dit comme ça, mais venant d’un artiste à l’origine de créations si audacieuses et belles, ça fait son effet, croyez-moi.

C’est d’ailleurs sur ces deux derniers points – l’aspect populaire et la revendication de la beauté de chacun – qu’a été envisagé l’habillage ad hoc du hall des Folies Bergère. Dans un espace historiquement art déco, kitsch et superbe, sont installés en libre accès des espaces rappelant les backstage de la mode. On y présente des vêtements prêt-à-porter du créateur, ses parfums. Avant et après la représentation, le public s’en empare. Comme s’il était lui-même dans les loges, il s’assoit face aux coiffeuses, fait des mines. C’est un jeu pour lui, une mise en bouche de l’aspect entertainment du spectacle. 

Dans le hall art déco sont installés en libre accès des espaces rappelant les backstage de la mode.

Au centre du hall, l’espace de vente propose le merchandising JPG – à peine plus, pour finir, que n’importe quel groupe de rock : la fameuse marinière, un éventail, un magnet. Pas très haute couture, sûrement, et peut-être même déconcertant pour qui envisage la marque Jean Paul Gaultier dans le panthéon du luxe. En fin de spectacle, d’ailleurs, c’est la foire d’empoigne : « On finira bien par tous vous servir », dit une des deux vendeuses dans la cacophonie des demandes.

L’espace de vente propose le merchandising JPG – à peine plus, pour finir, que n’importe quel groupe de rock.

Parce que « tout le monde est beau », « qu’on est tous des freaks » (et que, c’est bien connu, « le freak, c’est chic »), la déco du hall du Fashion Freak Show invite à la mise en scène de soi : jolie lumière, larges miroirs. Comme une star, voici qu’on s’assoit devant l’espace Make up – et clic, une photo. On se montre (à) l’espace Mode – clic une photo. On admire les bouteilles de parfum – clic une photo. Le tout finit généreusement sur les réseaux sociaux, Instagram, Twitter, Facebook : des dizaines d’images de quidams – beautiful freaks(s), disait Eels – posant « pour » la promo du Fashion Freak Show, des influenceurs gratuits, en somme, nombreux et ultra enthousiastes. 

Les plus audacieux grimpent sur le podium à l’effigie du spectacle – clic. Certains ont évidemment prévu le coup, dans leurs plus belles nippes ; d’autres posent en couple, en bande, avec un air partagé, entre joie d’être là, vus ici puis sur les réseaux, et l’injonction de sérieux que semblent lancer tous ces regards anonymes. 

Pour répondre à mon amie, je lui dirai qu’en fait de souk, j’ai surtout vu des moyens au service d’une communication virale ultra réfléchie. C’est d’ailleurs peut-être ça qui l’a dérangée, elle qui n’envisage pas un instant de donner son temps ni ses data à Facebook, Twitter ou Instagram. Pourtant, à l’issue du spectacle –  généreux, bienveillant, punk – on se dit qu’il y a également dans le plan com du Fashion Freak Show la volonté de Jean Paul Gaultier de donner à chacun la possibilité de se magnifier.

Texte et photos
Stéphanie Estournet
Je me tais et je vais vous dire pourquoi

Fashion Freak Show, aux Folies Bergère à Paris jusqu’au 21 avril.

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