“2017, Année terrible” : chaque semaine, une petite phrase de la campagne des présidentielles passe sous l’hugoscope. Car en France, lorsqu’il n’y a plus rien, il reste Victor Hugo.
C’est jour de fête au Panthéon (la Toussaint…) et tout le monde est de sortie. Des groupes se sont formés dans les couloirs de la crypte ; les Grands hommes parlent de l’état du monde, de la tête des visiteurs, de leurs cendres froides. Victor s’approche d’un groupe où la discussion est particulièrement animée.
Hugo : Jaurès, Perrin, Zay, Moulin : les quatre Jean réunis ! La volonté, la science, l’intelligence et le courage parlant de concert, comme c’est beau ! J’en pleurerais. De quoi discutiez-vous, les amis ?
Zay : De l’Europe. Dehors, à droite comme à gauche, ils disent qu’ils ne veulent pas “plus d’Europe” mais “mieux d’Europe”.
Hugo : Qu’est-ce que c’est que ce charabia ? Mais ça ne veut rien dire !
Moulin : C’est aussi notre sentiment. En tout cas, les États-Unis d’Europe que vous appeliez de vos voeux, on n’a pas l’air d’en prendre le chemin.
Hugo : Laissez-leur le temps. En Amérique, entre l’arrivée de Colomb et la fédération des cinquante États, ça a tout de même pris quelques siècles, non ?
Perrin : Dommage que Colomb n’ait pas débarqué en Bretagne en pensant mettre le pied en Inde, on aurait été plus vite.
Hugo : Vous pouvez vous moquer, Perrin, mais si en 1848 l’Europe des peuples avait succédé à l’Europe des rois, le continent serait un seul peuple ; les nationalités vivraient de leur vie propre dans la vie commune ; l’Italie appartiendrait à l’Italie, la Pologne appartiendrait à la Pologne, la Hongrie appartiendrait à la Hongrie, la France appartiendrait à l’Europe, l’Europe appartiendrait à l’Humanité. Et le groupe européen n’étant plus qu’une nation, l’Allemagne serait à la France, la France serait à l’Italie ce qu’est aujourd’hui la Normandie à la Picardie et la Picardie à la Lorraine.
Jaurès : La Picardie n’existe plus, Victor, hélas !
Zay : Et l’Europe des rois est morte sans que l’Europe des peuples ne voie vraiment le jour.
Hugo (imperturbable) : Plus de guerres, par conséquent plus d’armée. Plus de frontières, plus de douanes, plus d’octrois ; le libre échange ; flux et reflux gigantesque de numéraire et de denrées, industrie et commerce vingtuplés.
Perrin : Ce n’est pas aussi simple…
Hugo (inarrêtable) : Une monnaie continentale ayant pour point d’appui le capital Europe tout entier et pour moteur l’activité libre de centaines de millions d’hommes, une monnaie qui remplacerait et résorberait toutes les absurdes variétés monétaires d’aujourd’hui, effigies de princes, figures des misères ; variétés qui sont autant de causes d’appauvrissement ; car, dans le va-et-vient monétaire, multiplier la variété, c’est multiplier le frottement ; multiplier le frottement, c’est diminuer la circulation. En monnaie, comme en toute chose, circulation, c’est unité. La fraternité engendrerait la solidarité ; le crédit de tous serait la propriété de chacun, le travail de chacun, la garantie de tous.
Jaurès : Victor, reviens sur terre !
Hugo : Liberté d’aller et venir, liberté de s’associer, liberté de posséder, liberté d’enseigner, liberté de parler, liberté d’écrire, liberté de penser, liberté d’aimer, liberté de croire, toutes les libertés feraient faisceau autour du citoyen gardé par elles et devenu inviolable. Ah oui, mes amis, on verrait partout le cerveau qui pense, le bras qui agit, la machine servant l’homme ; les expérimentations sociales sur une vaste échelle ; toutes les fécondations merveilleuses du progrès par le progrès ; la science aux prises avec la création ; des ateliers toujours ouverts dont la misère n’aurait qu’à pousser la porte pour devenir le travail ; des écoles toujours ouvertes dont l’ignorance n’aurait qu’à pousser la porte pour devenir la lumière ; où l’enfant pauvre recevrait la même culture que l’enfant riche ; des scrutins où la femme voterait comme l’homme ; car nous proclamons la femme notre égale, avec le respect de plus. O femme, mère, compagne, sœur, éternelle mineure, éternelle esclave, éternelle sacrifiée, éternelle martyre, nous vous relèverons !
Moulin : Il faudrait l’enfermer.
Perrin : Il est enfermé.
Jaurès : Mais il cause encore, le bougre !
Hugo : C’est l’heure de la joie et des embrassades. Mettons de côté toute nuance exclusive, tout dissentiment politique ; à cette minute sainte où nous sommes, fixons uniquement nos yeux sur cette œuvre sacrée, sur ce but solennel, sur cette vaste aurore, les nations affranchies, et confondons toutes nos âmes dans ce cri formidable digne du genre humain et du ciel : vive la liberté ! Oui, puisque l’Amérique, hélas ! lugubrement conservatrice de la servitude, penche vers la nuit, que l’Europe se rallume ! Tous ensemble, France, Angleterre, Belgique, Allemagne, Italie, Europe, Amérique, disons aux peuples : vous êtes frères ! Et Paris, au centre, sera un volcan de lumière !
Jaurès (aux autres) : Les gars, pensez à éteindre avant d’aller vous recoucher.
Édouard Launet
2017, Année terrible
[print_link]
0 commentaires