Si l’on suppose un émetteur (à peu près) stable, et une prégnance qui atteint sa cible, qu’advient-il du récepteur, troisième élément de la chaîne sémiophysique, et dernier élément de la syntaxe avéryenne ? Il subit des « effets figuratifs » d’une grande variété, comme on en a vu de nombreux exemples dans ces chroniques, les plus spectaculaires étant sans doute ceux que subit le loup à la vision de Cendrillon ou du Chaperon rouge.
Cependant, l’effet peut ne pas être immédiat. Cet effet différé, car empêché ou interdit, se traduit par d’importantes transformations chez le récepteur. Le chien Spike, contraint de ne pas faire de bruit et en outre immobilisé (Rock-a-Bye Bear, 1952), se voit placer un bâton de dynamite dans la bouche. Que feriez-vous à sa place ? Prenez votre temps pour réfléchir. Eh bien la langue de Spike devient démesurément longue, et transporte la dynamite au sommet de la montagne, où elle explose :
On retrouve le même scénario dans Deputy Droopy (1955), mais l’effet y est différé 22 fois au lieu de 9 seulement, Droopy trouvant à chaque fois une méthode différente pour faire hurler les voleurs : bouts de verre, chignole portée au rouge, homard, dynamite, berceau (oui, berceau : le voleur y tombe et Droopy lui donne le biberon, ce qui l’oblige à faire un rot — différé bien sûr).
Plus généralement, les effets figuratifs marquent une nette tendance à la multiplication, mais pas n’importe comment… Dans Magical Maestro (1952), le magicien fait subir toutes sortes de transformations (21 exactement) au Maestro grâce à sa baguette magique, mais celui-ci s’empare de la baguette et fait subir les mêmes transformations au magicien, dans le même ordre. C’est cependant dans un des grands chefs d’oeuvre avéryens, The Cuckoo Clock (1950), que la multiplication des effets atteint des sommets. Le chat tente d’assommer le coucou avec un club de golf, mais le coucou se pose sur le club. Le chat agite le club : le coucou se multiplie par 2, puis par 4, par 7 et enfin par 14 ! Au lieu d’éliminer le coucou, le chat le multiplie ! Et n’imaginez pas que le processus s’arrête là : agitant toujours son club, le chat provoque maintenant une série de divisions, passant de 8 coucous à 4, puis à 2 et à 1, avant que… :
L’effet figuratif, enfin, peut être unique, auquel cas il fait l’objet de nombreuses variations : 83 exactement dans The Cat That Hated People, de 1948. C’est sans doute le plus métaphysique des cartoons d’Avery, qui s’y amuse à illustrer la très profonde phrase de Mark Twain : « Quand on a un marteau, tout ressemble à un clou ». Le chat misanthrope se retrouve sur la Lune, confronté à quantité de prégnances différentes. Un marteau le change en clou, une pelle le change en plante, une paire de ciseaux le découpe comme ces frises de papier que l’on fait en maternelle et qui sont, pour Avery, le summum de la bêtise et de l’infantilisme :
Nous voilà, parvenus au bout du schéma sémiophysique, contraints de reconnaître que sous des dehors absurdes et nonsensical, Avery ne fait jamais « n’importe quoi ». Tout est savamment calculé, dosé, ajusté, et le rire qui en résulte fait résonner en nous des profondeurs insoupçonnées. Mais il est temps désormais de mettre en oeuvre les éléments de compréhension introduits jusque là : les deux prochaines chroniques seront consacrées à l’analyse sémiophysique détaillée de deux cartoons entiers de la meilleure époque d’Avery : Cock-a-Doodle-Dog (1951) et The Counterfeit Cat (1949).
Nicolas Witkowski
Chroniques avéryennes
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