“2017, Année terrible” : chaque semaine, une petite phrase de la campagne des présidentielles passe sous l’hugoscope. Car en France, lorsqu’il n’y a plus rien, il reste Victor Hugo.
Il est aux alentours de trois heures du matin lorsque René Cassin (1887-1976) fait irruption dans le caveau XXIV du Panthéon où Victor Hugo repose du sommeil du juste, Alexandre Dumas ronfle et Émile Zola fait des mots croisés.
Cassin : Hugo, debout ! Une grande mission vous attend.
Hugo (se réveillant en sursaut) : Hein ? Quoi ? Qui va là ? Ah Cassin… Vous avez vu l’heure ?
Cassin : Oui, j’ai vu l’heure. C’est une heure grave, pour une décision grave. Hugo, je n’irai pas par quatre chemins : la France a besoin de vous. Vous allez faire un grand Président de la République.
Hugo (se rallongeant) : J’appartiens à mon pays, il peut disposer de moi.
Cassin : Alors partez recueillir le suffrage du peuple, il est encore temps.
Hugo : J’ai un respect, exagéré peut-être, pour la liberté du choix ; trouvez bon que je pousse ce respect jusqu’à ne pas m’offrir de moi-même. Et puis il me semble qu’il y a déjà suffisamment de candidats. Vous me voyez me présenter à la primaire de la gauche ? C’est déjà assez bouffon comme cela.
Cassin : Voulez-vous que, l’an prochain, le pays ait à choisir entre François Fillon et Marine Le Pen ? Que le pays s’enfonce dans le conservatisme et la réaction comme en 1851 ? Que la calotte et le goupillon reviennent ? Que le programme du Conseil national de la Résistance soit foulé aux pieds ?
Hugo : Que prévoyait-il, ce programme ?
Cassin : L’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie, une organisation rationnelle de l’économie assurant la subordination des intérêts particuliers à l’intérêt général. Le retour à la Nation des grands moyens de production monopolisée, fruits du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurances et des grandes banques. Le développement et le soutien des coopératives de production, d’achats et de ventes, agricoles et artisanales ; le droit d’accès, dans le cadre de l’entreprise, aux fonctions de direction et d’administration, pour les ouvriers possédant les qualifications nécessaires, et la participation des travailleurs à la direction de l’économie. La retraite pour tous, la Sécurité sociale, la…
Hugo : Je signe des deux mains.
Cassin : C’est un peu tard pour signer, mais pas trop tard pour éviter que le pays ne rompe avec cet idéal. Et si nous vous demandions instamment de monter au front ? Et si les citoyens de ce pays vous en priaient ?
Hugo : Si mes concitoyens jugeaient à propos, dans leur liberté et dans leur souveraineté, de mettre entre mes mains la destinée de la France, alors, soit, j’accepterais cet austère mandat avec recueillement. Je le remplirais avec tout ce que j’ai en moi de dévouement, de désintéressement et de courage.
Cassin : A la bonne heure !
Hugo : Et s’ils ne me désignaient pas, je remercierais le ciel, comme ce spartiate, qu’il se soit trouvé dans ma patrie neuf cents citoyens meilleurs que moi. Mais en ce moment, je me tais, j’attends et j’admire les grandes actions que fait la Providence. Et surtout : je dors. Ou du moins j’essaie…
Cassin : Il vous faut un programme.
Hugo : Vous venez de l’énoncer. Et puis à quoi bon un programme ? Tout homme qui a écrit une page en sa vie est naturellement présenté par cette page s’il y a mis sa conscience et son cœur. Et j’en ai écrit quelques-unes. Mon nom et mes travaux ne sont peut-être pas absolument inconnus des Français. Je vous le répète, je suis prêt, si mes concitoyens songent à moi et m’imposent ce grand devoir public, à rentrer dans la vie politique – sinon, à rester dans la vie littéraire. Dans les deux cas, et quel que soit le résultat, je continuerai à donner, comme je le fais depuis tant d’années, mon cœur, ma pensée et mon âme à mon pays dans la modeste mesure de ma condition actuelle, celle que vous partagez avec moi, mon pauvre René Cassin.
Cassin : Il vous faut vite recueillir les signatures de cinq cents élus.
Hugo : Vous vous en chargerez.
Cassin : Vous devrez tenir un compte de campagne dont la régularité sera contrôlée par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Vous devrez également remettre au Conseil constitutionnel une déclaration de situation patrimoniale.
Hugo : Je n’ai plus grand-chose, sinon quelques souvenirs et trois lingots d’or que j’ai cachés à Guernesey dans le petit poêle en faïence du look out de Hauteville House.
Cassin : Enfin il serait bon d’avoir un slogan de campagne
Hugo : Que pensez-vous de : “Partons d’un vol égal vers un monde meilleur” ?
Cassin : Il nous faudra aussi une solide équipe de communicants.
Édouard Launet
2017, Année terrible
0 commentaires