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Mer d’huile et pierres plates
| 20 Août 2025

Tout avait commencé il y a bien longtemps par une passion enfantine pour les ricochets. À peine arrivé à Granville pour les vacances d’été, le petit Pierre (un nom prédestiné) se précipitait sur la plage, au pied du casino, pour ramasser les cailloux plats qui allaient lui permettre de s’adonner à son jeu préféré. Quand la mer était d’huile, il n’était pas rare qu’il parvienne à plus de 30 rebonds. Son record personnel dépassait les 50! (bien loin du record de 88 ricochets réalisé le 6 septembre 2013 par Kurt “Mountain Man” Steiner, 48 ans, mais un exploit à l’âge du petit Pierre!)

C’est avec amour qu’il recherchait les pierres idéales. Et puis un jour tout a basculé. Quel dommage de jeter à la mer de tels trésors que les vagues s’étaient donné tant de mal à déposer sur le sable! Il a continué à les ramasser, mais à présent pour les conserver précieusement. Ses parents avaient beau essayer de l’en dissuader*, il rapportait chaque fin d’été une bonne dizaine de kilos de ses chères pierres précieuses dans le pavillon familial du Val-de-Marne (94).

Devenu grand, et expert-comptable, Pierre achète un ancien hangar sur les hauteurs de Granville, qu’il aménage et où il s’installe avec sa jeune épouse rencontrée sur la plage de Donville, alors qu’elle ramassait des coquillages. À présent plus rien ne pourra l’empêcher de consacrer tous ses loisirs à sa passion.

Chaque matin – avant de compter avec expertise – et chaque soir, en fonction des marées, il arpente les plages de Coudeville au nord à Édenville au sud et parfois même au-delà… Les noctambules l’auront sans doute parfois croisé à la brune équipé d’une lampe frontale, un sac au dos et un panier dans chaque main.

Les années passant, des observateurs très attentifs ou des praticiens du ricochet auront sans doute remarqué la lente raréfaction des pierres plates dans tout le secteur. En revanche, dans le hangar de Granville, elles s’accumulaient par milliers, dûment classées par taille, forme, couleur: les rondes, les carrées, les rectangulaires, les triangulaires, celles en forme de cœur, les fantaisie, noires, grises, unies, rayées, à pois!

Bientôt, le collectionneur forcené doit étendre son champ d’action. On le voit parfois à Hauteville-sur-mer ou descendre de plus en plus loin à marée basse jusqu’au pied de la pointe du Groin du Sud.

À ses risques et périls

Chacun sait pourtant que la baie du Mont Saint-Michel est extrêmement dangereuse, que la marée y monte à la vitesse d’un cheval au galop! Comment un riverain pourtant au courant (c’est le cas de le dire. NDLR) a-t-il ainsi pu se laisser surprendre? A-t-il été happé par des sables mouvants et avalé d’autant plus vite qu’il était alourdi par son précieux chargement? On ne le saura sans doute jamais.

Il y a maintenant trois ans, un jour de grande marée d’équinoxe, qu’il a disparu corps et biens laissant une épouse éplorée. Cherchant à se débarrasser de l’immense – et encombrante (plusieurs tonnes tout de même) – collection qui lui rappelait à tout moment, cruellement, son cher disparu, elle a contacté plusieurs musées d’histoire naturelle. À chaque fois, on lui a répondu que cette collection ne valait pas un caillou!

*Il n’est pas inutile de rappeler qu’une telle collecte sur nos plages n’est pas autorisée. Le glanage de galets peut donner lieu à une amende de 1500€!

Photo de galets par Philippe Mignon

© Philippe Mignon

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