Olivia et Olivier ! Olivia Rosenthal et Olivier Cadiot sont tous deux très haut placés dans la liste de mes écrivains contemporains préférés. Qu’ils figurent dans la rentrée littéraire de janvier est en soi un plaisir évident, mais doublé d’un risque non moins évident : et si leurs nouveaux livres allaient me décevoir ? Dans un tout autre registre, Sharunas Bartas et Rihanna sont eux aussi deux artistes dont je guette l’arrivée de nouvelles productions. Dans le cas de Bartas, l’attente semble aujourd’hui mesurée, puisque depuis l’an 2000 il s’écoule toujours cinq années entre deux livraisons. Dans le cas de la chanteuse de la Barbade, on s’était habitué, depuis son album inaugural en 2005, à voir arriver sur nos platines un nouvel opus chaque année. C’est pourquoi nous attendions fébrilement le successeur d’Unapologetic, paru en 2012 – il y a une éternité au regard d’une jeune femme qui fêtera ses 28 ans dans quelques jours. ANTI, c’est le titre de cet album, qui devait s’intituler Riri et sortir en septembre 2015, mais qui fut sans cesse repoussé, et même renommé, pour arriver par surprise le 28 janvier au matin.
Dans les quatre cas exposés – volontairement très dissemblables – ce qui m’intéresse est de savoir ce que l’on attend quand on sait l’arrivée d’une nouvelle œuvre d’un artiste que l’on apprécie. Qu’attend-on de trouver sur la page vierge qui précède l’arrivée d’un livre, sur l’écran blanc d’un film à venir, sur le silence d’un disque à paraître ? La même chose que l’on a aimée ? La même chose, mais en mieux ? Une rupture qui nous entraînera vers de nouveaux rivages ?
Une autre question se pose : comment l’attente prend-elle fin ? Elle n’est, me semble-t-il, pas la même face à un livre, un film et un disque. Si le disque s’écoute sans délai, si la découverte d’un film est fonction du calendrier des projections réservées à la presse ou des horaires d’une salle de cinéma, la lecture d’un livre n’est pas chez moi chose aussi spontanée, au moment où je l’ai entre les mains. Pourquoi ? Parce que le livre n’implique pas le même rapport au temps, parce que l’on souhaite avoir ce moment idéal – et qui n’arrive jamais – où la lecture ne sera pas interrompue. Et puis aussi, ouvrir le nouveau livre d’un auteur que l’on aime, c’est comme se jeter dans une piscine sans connaître sa profondeur ni la température de l’eau. Cela nécessite curieusement une forme de courage, qui n’a rien à voir avec l’écoute d’un disque, ou le visionnage d’un film.
Après avoir plongé dans le livre d’Olivia Rosenthal, Toutes les femmes sont des aliens, publié dans la collection Verticales, je peux dire que j’y ai retrouvé pleinement l’auteur que j’aime et qui sait comme personne coudre l’intime et le collectif. Poursuivant ici son récit initiatique à travers son expérience de spectatrice de cinéma (la tétralogie Alien, Les Oiseaux, Bambi et Le Livre de la jungle), elle nous fait nous seulement revoir ces films, mais en livre des lectures d’une troublante luminosité, comme lorsqu’elle analyse l’arrivée de la femme blonde comme celle qui va mettre à mal l’édifice familial, ou lorsqu’elle envisage Alien à la lumière de la question de la maternité. C’est magistral et sidérant.
Olivier Cadiot, lui, nous dit des choses essentielles sur la littérature, sur un ton faussement badin de conférencier, dans Histoire de la littérature récente. Tome 1, paru chez POL. Je n’en livre qu’une, à titre d’exemple, lui aussi lumineux : un livre est “une machine immatérielle qui produit des images que nous devons oublier par la suite. […] On doit oublier les livres pour garder seulement leur agitation.” Voilà quelque chose qui peut remplir ma journée.
Sharunas Bartas, dans Peace to us in our dreams, film du deuil, opère un déplacement considérable de son cinéma, en introduisant la parole, à mi-parcours. L’un des cinéastes les plus taiseux semble découvrir le parlant, comme Nuri Bilge Ceylan avec Winter Spleep. Mais que peut-on dire, semble se demander Bartas ? Pour parler, il faut que quelqu’un écoute, mais il ne suffit pas d’être face à l’autre pour parler, ni pour écouter, vraiment. C’est donc toute la difficulté de la parole et de l’écoute qui est ici questionnée. Film vertigineux, mélancolique et beau, il pose un nouveau jalon dans un parcours déjà remarquable.
Dans ces trois cas, les artistes en question semblent eux aussi attendre que quelque chose advienne. Et l’on se dit que notre attente attendait en fait la leur.
Et Rihanna, me direz-vous ? C’est plus compliqué. Je crois bien qu’il faut que je l’écoute encore, pour y revenir dans un prochain Bentô.
Arnaud Laporte
À propos du film de Sharunas Bartas, Peace to us in our dreams, lire cet autre Bentô : “Autobiographique”.
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