La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés
Salope
Insultologie Appliquée. La Terre se réchauffe, les esprits s’échauffent, les chefs d’État s’injurient : l’insulte est l’avenir d’un monde en décomposition. Chaque semaine, la preuve par l’exemple.
En juin dernier, l’Académie française, à laquelle nulle dérive langagière ne saurait échapper, a tenu à mettre les choses au point : « Étymologiquement, salope n’est pas le féminin de salaud. Celui-ci est dérivé de sale, alors que celui-là est composé à l’aide de sale et de hoppe, forme dialectale de huppe, un oiseau qui traîne la triste réputation d’être particulièrement malpropre. Salope signifie donc d’abord ‘très sale’, et on lisait dans l’édition de 1835 de notre Dictionnaire : ‘Cet enfant, cette petite fille est salope, est bien salope’. »
Voilà qui méritait d’être rappelé tant, de nos jours, les salopes volent en formation serrée. C’est, en avril, le forain Marcel Campion qui disait publiquement d’Anne Hidalgo : « C’est carrément une salope », au motif que la maire de Paris refusait une nouvelle installation de sa grande roue. Ce sont quelques dizaines de gilets jaunes qui, le mois suivant, s’attroupaient devant le domicile manceau de Marlène Schiappa, Secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes, pour hurler : « Salope ! Enfoirée ! Sors de là, salope ! Grosse salope ! » C’est Éric Massin, président de la Fédération PS de Charleroi en Belgique, qui, l’an dernier lors d’une réunion publique, parlait de Caroline Taquin, bourgmestre de Courcelles, comme de « la plus rosse, là je suis trop gentil… la plus salope » des adversaires de son parti. Ce sont les patients énervés des services d’urgence qui lancent quasi quotidiennement des “salopes” à la figure des infirmières. C’est une épidémie, au point que la Fondation Maison des sciences de l’homme, à Paris, avait jugé opportun d’accueillir — il y a deux ans déjà — une exposition, Salope ! et autres noms d’oiselle, qui évoquait le parcours des pratiques sociales et culturelles qui ont donné naissance aux insultes à destination des femmes.
Au siècle dernier, l’injure était plus policée. En février 1988, lors d’un sommet européen très tendu à Bruxelles, l’alors Premier ministre Jacques Chirac, ignorant qu’il était enregistré par un magnétophone, s’était contenté de lâcher en parlant de Margaret Thatcher : « Qu’est-ce qu’elle veut de plus, la mégère ? Mes couilles sur un plateau ? ». Aujourd’hui, le micro capterait probablement des propos plus directs, quoique Édouard Philippe ne soit pas connu pour ses écarts de langage (tout au plus se hasarderait-il à un “enfoiré” pour qualifier Boris Johnson).
Je ne tiens pas à répondre à cela
L’Académie poursuit : « Le sens de salope s’est peu à peu modifié et ce mot est aujourd’hui un terme d’injure employé pour désigner une personne très vile et digne du plus profond mépris. Il est ainsi devenu un équivalent de salaud, qui a évolué de la même façon. Si la forme salaude existe, dans l’usage c’est bien salope qui sert de féminin à salaud. […] C’est bien, au masculin, salaud et, au féminin, salope qu’il faut employer, en précisant toutefois que le féminin salope peut avoir une forte connotation sexuelle. »
Qu’en pensent les assistants vocaux, ces nouveaux baromètres du politiquement correct ? À la question : « Es-tu une salope ? ”, la voix féminine du système Siri d’Apple répondait naguère : “ Je rougirais si je pouvais ». Aujourd’hui la réponse est : « Sans commentaire » ou bien « Je ne tiens pas à répondre à cela ». Plus classe, et surtout moins trempé dans un sexisme connivent. À la même question, l’assistant d’Amazon, Alexa, choisit de répondre : « Thanks for the feedback » (Merci pour le retour). Quant à l’assistant Google (OK Google !), il renvoie un « Mon algorithme ne sait pas traiter ce genre de langage » d’une franchise cristalline.
Continuons l’interrogatoire. « Dis Siri, es-tu féministe ? ». Réponse : « Je pense que tous les êtres humains devraient être traités sur un pied d’égalité ». Apparemment, Siri pense. Il le fait prudemment, au diapason de son époque, soucieux du poids de chaque mot. Relance : « Dis Siri, que penses-tu des injures ? ». Réponse :« C’est votre opinion qui compte ».
Fini le petit confort et le grand inconfort du confinement. Retour au monde d’avant, en pire bien entendu. Une sidération durable s’annonce : celle qui va frapper quand nous aurons le nez dans la facture économique et sociale.
Rien ne va plus entre le Président et son Premier ministre. Les nerfs sont à vifs, les enjeux énormes, les responsabilités écrasantes. À preuve, ce violent échange qui a eu lieu la semaine dernière dans le Jardin d’hiver de l’Élysée.
Il y a au moins un événement culturel dont la pandémie n’a pas eu la peau : la Journée Mondiale du Pangolin. Elle se tient chaque année le troisième samedi de février. En 2020, sa neuvième édition est tout juste passée entre les gouttes.
Le chemin qui va du coronavirus à la Shoah est étroit, tortueux et improbable. Pourtant, la pandémie a vite atteint le point Godwin, ce moment où, dans tout débat, les adversaires finissent par s'injurier en se jetant à la figure des allusions à l'Allemagne nazie.
La visite d’Emmanuel Macron chez le professeur Didier Raoult, jeudi dernier à Marseille, s’est extrêmement mal passée. Un témoin a saisi ce bref échange entre les deux hommes à l’arrivée du convoi présidentiel. Le chef de l'État semblait passablement énervé.
Il ne se passe pas une heure sans qu’un policier se fasse traiter d'enculé ou de con, et une infirmière de pute ou de salope par un énervé aux urgences. La pandémie met en lumière la pauvreté consternante de notre répertoire d’injures.
Le rap est certainement le champ artistique le plus réactif à l’actualité. Si ses mélodies sont rarement surprenantes, ses textes ont un caractère printanier qui sied à la saison et aux circonstances. En témoignent ces quelques sorties récentes...
Les insultes traversent moins facilement les océans que les virus. Prenez Joe Biden, bien parti pour être le candidat démocrate aux prochaines présidentielles américaines, qui semble puiser ses insultes dans le cinéma du milieu du siècle dernier.
La planète fait donc face à deux épidémies : celle du virus et celle de la peur. La seconde tue rarement mais fait plus de victimes que la première. On s’en défend comme on peut. Par l’humour éventuellement, mais cela donne pour l’instant des résultats désastreux...
Le débat politique, aux États-Unis comme dans un nombre croissant de pays, s’est mué en un métaphorique numéro de cirque opposant clowns maléfiques et incompétents sans convictions. Le spectacle pourrait être divertissant sauf que ce n’est plus un spectacle.
En France, le réseau Twitter est devenu la première arène politique, loin devant les chambres parlementaires. Des textes de quelques dizaines de signes et des vidéos de quelques dizaines de secondes orientent les débats, font et défont les carrières.
Les températures battent record sur record, un nouveau virus menace la planète, le populisme trumpien prospère, l’Europe part en morceaux, mais depuis quelques jours tout le monde s’en branle : il n’y en a plus que pour l’affaire Griveaux.
La flagornerie est parfois pire que l’insulte. Cela peut même tourner à l’assassinat, comme la journaliste Anna Cabana en a fait une convaincante démonstration il y a quelques jours sur BFM-TV, dans une séquence qui n’a pas fini de réjouir Internet.
Le tennis est une activité idiote pratiquée par des gens en short dont l’unique but est de se débarrasser d’une balle en feutre jaune en tapant dessus comme des sourds, quoi qu’il se passe autour. Parfois, cela peut durer des heures. Et en agacer plus d'un.
Entre les États-Unis et l’Iran, les insultes volaient bien avant les drones et les missiles. L’échange de mots doux remonte à la crise de 1979. Les États-Unis "Grand Satan", comme disait alors l'ayatollah Khomeiny. L’arrivée au pouvoir de Donald Trump n’a rien arrangé à l’affaire.
L’affaire Matzneff a réveillé un volcan que l’on croyait éteint : les querelles littéraires. Ces dernières ont ceci de particulier qu’on commence par y parler livres avec moult circonlocutions et l’on finit par se jeter la Shoah à la figure.
Le populisme se porte de mieux en mieux, le climat se dégrade, les relations sociales se durcissent, la jeunesse désespère ou s’en fout, tandis que les mots se font de plus en plus violents. Pourquoi se priver ?
Il arrive, lors d’un match de foot ou de rugby, que l’arbitre soit invité par une partie du public à se rendre aux toilettes. Cela signifie généralement qu'une de ses décisions est contestée, mais cela ne dit pas ce que l’intéressé est censé faire aux chiottes.
Les amabilités entre chefs d’État se poursuivent et, il y a quelques jours, c’était au tour du président turc Recep Tayyip Erdogan d’ouvrir le feu, en déclarant que son homologue français Emmanuel Macron était en état de mort cérébrale. Ce dernier n'a pas du tout apprécié...
"Ferme ta gueule !" est une injonction qui est rarement suivie d’effet, ou qui produit l’effet inverse à celui recherché : l’autre se met à gueuler plus fort. Fermer sa gueule est facile tant qu'on ne vous le demande pas. Le général Georgelin aurait dû le savoir...
Fin octobre, plusieurs habitants de l'Orne et de la Sarthe ont reçu chez eux une boîte contenant des excréments. Elle était accompagnée d’une lettre se terminant par cette formule de politesse : “Je vous emmerde cordialement”...
Par les temps qui courent, on se balance tant de noms d’oiseaux sur Internet et dans les assemblées parlementaires qu’il vaut mieux savoir à quoi l’on a affaire. Ça tombe bien : les insultes et injures font l’objet d’un nombre croissant de travaux de recherche.
Elle est jeune, c’est une femme, elle nous culpabilise, elle ne veut pas se taire. C’est le prototype même de la chieuse. Greta Thunberg fait chier un nombre considérable de gens. Et en plus, elle a de l'humour.
Il y a un demi-siècle, les Rolling Stones faisaient scandale aux États-Unis. Aujourd’hui c’est Mick Jagger qui s’indigne des nouvelles mœurs américaines et britanniques. La provocation aurait-elle changé de camp ?
Voilà une injonction que l’on adresse rarement à son patron, sauf à avoir sa lettre de licenciement en main. À éviter aussi entre conjoints s'il reste un peu d'amour dans le foyer. Mais à lancer sans trop d’appréhension à la face des dirigeants politiques.
Tout a basculé le 23 février 2008. Ce jour-là, un président de la République en exercice — par ailleurs chef des armées, co-prince d'Andorre et chanoine d'honneur de la basilique Saint-Jean-de-Latran — gratifiait un de ses concitoyens d’un "Casse-toi, pauv' con !".
Je t’encule, tu m’encules, nous nous enculons en rond, au point que cela en devient vertigineux. Hier nous avions Racine et Corneille, aujourd’hui nous avons des enculés, des trous du cul et si peu d’alexandrins. Il faut dire que le débat politique est vif.
C'est l'année des fils de pute (et elle est loin d'être terminée). L’an prochain sera-t-il celui des salopes et des enculés ? On peut en douter car les fils de pute ont la peau dure, si bien qu’ils pourraient bien squatter la planète jusqu’au grand effondrement.
En politique l’insulte n’est pas précisément une nouveauté. Ce qui est neuf, c’est son usage croissant (pour ne pas dire sa banalisation) jusqu’au sommet de l’État. Révolue est l’époque où les grands de ce monde avaient la vacherie drôle et feutrée.