Bror Gunnar Jansson, Gugges Enmanna… Rien que le nom est une énigme. Peu d’artistes suédois réussissent à franchir le pont de Malmö pour briller ailleurs qu’au pays des grands élans. Du coup prononcer et comprendre le sien n’est pas simple. Pourtant. Ce jeune dandy de 28 ans, originaire d’un petit village près de Göteborg et élevé par une famille dans laquelle la soupe de notes est toujours au menu, s’est forgé une identité très singulière. Bror pour frère, comme le fameux compagnon de Robin des Bois, puis “Gugges”, soit le diminutif de Gunnar en suédois, et enfin “Enmanna”, signifiant One Man Band. Tout cela dans un seul personnage coiffé d’un chapeau tyrolien en feutre, portant chemise boutonnées jusqu’au cou, et bretelles sur un pantalon trop court faisant apparaître des chaussettes qu’il soigne tout particulièrement puisqu’il enlève ses chaussures lorsqu’il arrive sur scène. Sa gueule d’ange cache la souffrance qu’il dégage lorsqu’il chante, en anglais, des compositions qui l’expédient comme télétransporté dans les champs de coton des années 30. Il invente des personnages et leur mène une vie très dure, un peu à l’image du Butch de Tarantino. Une guitare électrique saturée, un boogie très basique et une voix à réveiller Leadbelly ou Charlie Patton.
Gentleman bluesman, bricoleur ingénieux, Bror s’est imaginé homme orchestre. À ses débuts, il y a encore deux ans, il avait placé une pédale de grosse caisse sur l’étui de sa guitare, utilisé une caisse claire comme grosse caisse, et imaginé un charleston planté devant lui qu’il pouvait caresser de sa main droite en même temps qu’il frappait le manche de sa guitare bas de gamme. “J’ai un jeu un peu ‘rough’ donc pas besoin d’aller taper dans le haut de gamme ! explique-t-il. Puis quand le matériel casse, il coûte moins cher à remplacer.” Son blues “roots” rend hommage à toute la bande des bardes du Mississippi. Robert Johnson, Sonny Boy Williamson, Son House, Charlie Patton font partie de la famille. Comme chez lui. Son grand-père et son arrière grand-père tiraient sur un accordéon. Sa soeur faisait gémir un violon… Son père avait rebaptisé le groupe dans lequel il jouait “Serves you the right to suffer” en hommage à John Lee Hooker. À 4 ans, Gunnar tâte du violoncelle, qu’il utilise comme une contrebasse. “Je suis passé au saxophone à 10 ans, puis par hasard à la chorale. C’est là que j’ai découvert que j’aimais chanter. L’envie de jouer de la guitare ne m’est venue que vers 16 ans. Juste pour m’accompagner.” En fait, le jeune compositeur est un fouineur des bacs à disques, tel un archéologue qui ne s’arrête pas tant qu’il n’a pas trouvé ce qu’il veut. “Je suis remonté dans l’histoire de la folk music américaine, du blues et du gospel, jusqu’aux années 20. Je me suis arrêté là où s’arrêtaient les enregistrements.”
En 2012, il se décide enfin à enregistrer un premier disque dans un vrai studio de Göteborg. “J’avais eu une vraie idée. Il y avait de l’unité. À la moitié de l’enregistrement, j’ai réalisé que je tenais un album et qu’il fallait que tout soit fait dans les normes. Mais impossible de trouver un producteur en Suède alors je l’ai fait seul.” Le hasard a ensuite fait qu’un Suédois habitant Berlin, Christoffer Johansson, tombe sur le disque et le contacte pour lui en acheter une centaine. Puis c’est Nicolas Miliani, un lutteur normand, qui tombe sous le charme des complaintes. Son label Normandeep Blues s’empare de la trouvaille. Il en fera graver 200 autres, qu’il écoulera lors de ses concerts. Depuis, le jeune homme est bichonné, bien drivé et son deuxième album Moan Snake Moan s’inscrit dans un projet plus ambitieux. Il l’enregistre en deux jours et le mixe le lendemain. Vite fait bien fait. Depuis il tourne en France et est devenu un incontournable de la scène blues.
Dino Di Meo
En concert le 18 novembre au Trabendo (Parc de la Villette – 211 avenue Jean Jaurès – Paris 75019 – infos@letrabendo.net – 01 42 06 05 52) et le 20 novembre à la ferme de Coueslé, Allaire (56).
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