Comme Tadeusz Kantor, il avait la conviction que, hors de sa présence, toute représentation était vouée à l’échec. Mais, contrairement au metteur en scène polonais, il n’était jamais sur scène. Assis dans la salle, en tension et en souffrance, il était à la fois en communion avec ses acteurs et en guerre muette contre les spectateurs, ces gêneurs potentiels aux raclements de gorge intempestifs et aux gestes incontrôlés. S’il avait pu, il aurait accroché à l’entrée de la salle un panneau « Ne pas déranger ».
Il ne montait que des auteurs contemporains. Mais le contemporain remontait tôt au XXe siècle. Maeterlinck était l’ombre tutélaire. Dans la liste, relativement peu d’écrivains français (même si Duras et Sarraute furent de véritables compagnes de route) et de nombreux auteurs européens qu’il contribua à faire découvrir (Harold Pinter, Peter Handke, Botho Strauss, Jon Fosse). Plus une nette attirance pour les pays du nord, et singulièrement la Norvège. Parmi les derniers spectacles mémorables, impossible d’oublier La Barque le soir de Tarjei Vesaas, récit d’une noyade et d’un sauvetage, monté à l’Odéon en 2012, avec Yann Boudaud.
Yann Boudaud, Jean-Quentin Châtelain, Marcial di Fonzo Bo, Valérie Dréville, Isabelle Huppert, mais aussi, dans les années 1970, Bulle Ogier ou Gérard Depardieu (et Michael Lonsdale, Sami Frey, Jeanne Moreau, Delphine Seyrig…), il aimait les acteurs fortement singuliers. En 2002, au festival d’Avignon, un Depardieu très ému rendait hommage à son maître dans une émission de France Culture : « Il m’a appris à écouter [et] à dire les mots comme si c’était la dernière fois ». Il aimait aussi beaucoup travailler avec de jeunes comédiens (« ils ne sont pas encore déformés, sclérosés ») et, du Conservatoire national d’art dramatique à l’école du Théâtre national de Bretagne, innombrables sont ceux à qui il aura révélé d’autres chemins, à rebours du réalisme psychologique qu’il abhorrait.
Il n’a jamais été vieux. Sans doute parce qu’il n’y avait aucune nostalgie dans sa colère contre le présent. En politique, les itinéraires individuels menant de la droite à la gauche sont plus rares, et plus intéressants que l’inverse. Transgresseur lui aussi, Claude Régy n’aura cessé de se radicaliser tout au long de sa vie, politiquement, esthétiquement, éternelle figure de rebelle.
Les premières lignes d’Aurelia de Nerval étaient en parfaite résonance avec son théâtre : « Je n’ai pu percer sans frémir ces portes d’ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible. Les premiers instants du sommeil sont l’image de la mort ; un engourdissement nébuleux saisit notre pensée, et nous ne pouvons déterminer l’instant précis où le moi, sous une autre forme, continue l’œuvre de l’existence. »
René Solis
Théâtre
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