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| 04 Jan 2017

Un marcheur à New York. Journal d’exploration urbaine (hiver 2016-2017)

Passe à l’instant sous mes fenêtres une voiture de police toute sirène hurlante : un vrai film new-yorkais comme on n’ose plus en faire ! Je suis bien arrivé et j’ai retrouvé le quartier de NYU (New York University) que je connais depuis deux ou trois séjours ces dernières années, notamment quelques semaines à la Maison française, il y a 6 ans. Je viens cette fois dans le cadre d’une bourse de recherche de l’Institut Remarque, fondé par l’historien Tony Judt il y a une vingtaine d’années au sein de NYU. Je suis là pour six semaines, et je viens pour deux choses, essentiellement, uniquement : travailler, écrire une dizaine d’heures par jour au calme, sans les obligations prenantes de la vie parisienne au travail et en famille – quelques articles à rattraper, et deux livres en cours à finir –, et marcher dans la ville, quelques autres heures par jours, deux, trois, parfois quatre heures. Deux activités solitaires qui vont m’accaparer totalement, sans autre but, ni visites, ni concerts, ni « vie culturelle » et pas davantage de vie mondaine. À part deux ou trois conférences en début et en fin de séjour, je n’ai aucune obligation, je ne connais pas grand monde et je ne veux surtout pas parler l’anglais, que je parle très mal… Une vie de sauvage en plein New York, une vie de solitaire au milieu de l’un des endroits les plus densément peuplé de la terre, une vie d’ermite au centre de la Babylone moderne.

Je suis logé au Washington Square Village, en fait deux grandes barres de béton qui se font face sur 17 étages, avec au milieu un jardin pour le moment en jachère, l’hiver ne permettant pas les travaux des champs ici. Les doormen sont charmants, l’appartement, profondément moquetté de violet, a l’air confortable, une seule pièce, mais vraiment grande, donnant, au 2e étage, sur un jardin, en face de deux plus grandes tours de 30 étages, tout faisant partie du parc immobilier, immense, inchiffrable, de NYU autour de Washington Square. Je me promène un peu dans le coin ce premier jour, pour constater que l’arc du centenaire de Washington est toujours là, planté au milieu du jardin, face à la 5e avenue dont il est comme l’origine. L’hiver, évidemment, il y a moins de joueurs d’échecs et pas d’amoureux qui flânent, mais des touristes qui s’auto-immortalisent en ces lieux mythiques. Ils ne savent pas que c’est là qu’on enterrait les morts inconnus, les indigents et les victimes de la fièvre jaune. Le temps a bien changé, depuis Henry James. Même depuis trente ans, quand le Washington Square Hotel était un bouge pas cher pour hippies et fumeur de pétards. Désormais, ici, on est au cœur du Village, et même de Greenwich Village, et c’est tout à fait chic mais décontracté. Pas mal d’intellectuels vivent ici, tranquillement, donnant leur cours à NYU, lisant même encore parfois le journal sur les tables de cafés « à l’européenne ». J’ai besoin de dormir et de récupérer mon décalage. J’écourte cette petite marche inaugurale. Demain, j’espère commencer à traverser Manhattan de long en large et en travers, et pouvoir raconter cela dans mon Journal d’un marcheur à New York.

Antoine de Baecque
Degré zéro

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