À qui n’a jamais assisté à un spectacle de la compagnie Dromesko, il ne faudrait rien dire sinon d’aller y voir, et pour les Parisiens ça tombe plutôt bien : la dernière création, Le jour du grand jour, est actuellement à l’affiche du Montfort avant d’être à celle du 104 en février. Donc voilà, allez-y, vous ne le regretterez pas : c’est parfois drôle, souvent émouvant, toujours juste. Et le reste vous l’apprendrez sur le site des Dromesko.
Mais bien sûr on ne va pas s’en tenir là car, s’agissant d’émotions, il est toujours tentant de confier les siennes, avec l’envie de les comparer à celles des autres. La personne avec qui j’ai vu Le jour du grand jour mi-janvier en est ressortie légèrement ébranlée parce que, m’a-t-elle dit, cette suite de petites scènes évoquant des cérémonies (mariage, enterrement, banquet, processions diverses) l’a touchée au-delà de ce qu’elle attendait d’un spectacle s’apparentant a priori à du théâtre de rue. Et pourquoi donc ? Parce que, a-t-elle continué, je croyais rire, que j’ai eu peur et que, finalement, j’ai eu envie de pleurer. Ce n’était pas mon cas à moi, remué pourtant, mais je crois avoir compris ce qui s’est passé.
Chacune des scènes s’apparente au développement d’une photo. L’image reste longtemps dans le bain, car le temps de Dromesko prend son temps. Au début, on ne voit très bien où veulent en venir les neuf personnes qui s’agitent sur la scène (en fait une sorte de couloir entre deux rangées de spectateurs). Ce mélange de burlesque et de poésie fait monter progressivement chez le spectateur un mélange d’émotions dont il se demande laquelle est la bonne. Vers quoi veut-on le conduire ? En fait, il n’y a jamais de réponse claire à cette question. La chute est rarement celle que l’on avait anticipée, ce n’est qu’au dernier moment que l’image se révèle, une image qui décante brutalement la succession de sentiments qui nous avait traversé. C’est en cela que le spectacle est déstabilisant. Ces chutes, ou points d’orgue, sont comme des mouettes venant se poser délicatement sur la queue d’un convoi de combustibles nucléaires. Pour sentir les pattes de l’oiseau, il faut être un peu nucléaire soi-même. Allez donc vous tester au compteur Geiger de Dromesko, et espérez que l’appareil se mette à couiner : cela voudra dire que vous êtes en vie, même si la vie n’a pas toujours été tendre avec vous.
Édouard Launet
Le jour du grand jour, compagnie du théâtre Dromesko. Au Monfort (Parc Georges Brassens, Paris 15e) jusqu’au 30 janvier. Au 104 (5 Rue Curial, Paris 19e) du 9 au 20 février. Puis du 14 au 18 juin à Martigues (Théâtre des Salins), en juillet à Lyon (Les Nuits de Fourvière) et en septembre à Caen (Festival Éclats de Rue).
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