La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

Paysages de danse à Liège
| 13 Fév 2018

Se consacrant cette année à l’Afrique du Sud post apartheid où les créateurs, toutes disciplines confondues tentent de pointer les défauts d’une société qui n’en a pas fini avec les dérives anticonstitutionnelles, les graves disparités sociales, le sexisme, l’homophobie, l’anti-culturel, Pays de danses brise bien des préjugés. Le festival brasse par ailleurs les genres et les continents, les compagnies installées (Anne Teresa De Keersmaeker, Jan Fabre et son carnaval, Thomas Hauert) et les plus jeunes qui démarrent. C’est aussi l’occasion de découvrir pour ceux qui ne l’auraient pas encore fait le Théâtre de Liège, un bijou ouvert sur la ville, lumineux, chaleureux où le neuf se mêle à l’ancien bâtiment de l’Émulation, où le bois fait bon ménage avec l’ossature en béton. Un mariage réussi que l’on doit aux architectes Pierre Hebbelinck et Pierre de Wit.

Le mariage est plus forcé dans DFS de Cecilia Bengolea et François Chaignaud. Si on a à de multiples reprises apprécié sans retenue les associations insolites de ces deux chorégraphes et danseurs, notamment avec le voguing et avec le baroque, on reste plus interrogatifs sur le mélange des pointes classiques, des énergies de dancehall jamaïcain et des chants polyphoniques traditionnels géorgiens et médiévaux. Si dans le récent solo Romances Inciertos : l’autre Orlando de François Chaignaud présenté à Bonlieu, Scène nationale d’Annecy où les chorégraphes sont en résidence, musique live et danse font corps commun pour des métamorphoses, ici on reste plutôt dans le collage hasardeux, avec toutou sur le plateau et invitation des spectateurs à danser. Les chants interprétés par les danseurs ne portent guère, les danses jamaïcaines issues des ghettos de Kingston sont certes enthousiasmantes mais elles ne nous disent que peu de choses sur ce qu’elles véhiculent et les chaussons pointes sont comme des pièces rapportées, même pas justifiées par un possible fétichisme. Alors raté ? Non, curieusement la pièce passe grâce à la générosité du groupe, à sa précision technique et à une mise en scène où l’anti-spectacle est de mise.

Dans l’un des sept centres culturels où le festival se déploie, le Centre culturel de Chênée, on a pu découvrir un jeune groupe, la compagnie Be Fries avec Essensure, un trio en devenir. Les trois danseurs, bien que jeunes encore (22, 23 et 24 ans), tous de Liège ou alentours (Verviers) ont suffisamment d’années de « carrière » derrière eux pour savoir ce qu’ils veulent. Ils se dirigent vers une danse de scène où ils ne seraient plus simple exécutants mais comme le dit Stéphane Deheselle que l’on retrouve dans bien des clips et autres shows télévisuels : « Je reviens chez moi (à Verviers), j’ai envie de bouger avec les gens qui sont du même endroit. Ce que l’on essaie de faire, c’est une danse qui nous met dans un état, qui peut se rapprocher en cela de la danse contemporaine. Il faut vivre le mouvement, pas seulement l’exécuter. » Il a beaucoup voyagé, de Los Angeles à la Jamaïque pour affiner son propre style qui conjugue le pop et la contorsion. Hendricks Ntela est elle aussi une championne (les uns et les autres ont gagné concours et autres battles) mais elle cherche un prolongement à sa danse. Souvent seule femme parmi les garçons, notamment dans le collectif BBF, elle possède elle aussi des appuis solides dans son style, le krump. Elle s’est imposée, il lui faut maintenant imposer sa danse, la faire reconnaître comme un langage à part entière.

Tous les trois poussent les limites, veulent incarner « quelque chose de plus fort que nous, une transformation pour atteindre un niveau spirituel ». Ce ne sont pas que des mots. Leur premier spectacle où pourtant tout manque (lumière, scénographie, choix musical) est un geste franc, sans concession, loin des démonstrations du genre. Car aux deux pré-cités, s’ajoute un autre krumper de choc, Pierre Anganda, puissant lui aussi, clair dans ses trajectoires et par ailleurs semi professionnel en football américain. Fragile, leur association pourrait perdurer. Mais, contrairement à la France où le hip hop a intégré les programmations et les institutions, les « danses urbaines » ont beaucoup de mal en Belgique à trouver un statut.

Hendricks Ntela enseigne et a créé un crew de filles très performant. Stéphane Deheselle vit de ses cachets tout en rêvant de vivre de sa propre danse. Pierre Anganda partage son temps entre le sport et la danse. Ils souhaiteraient disposer d’un lieu où rassembler les danseurs et développer leur style et leurs recherches et Hendricks Ntela a déjà repéré des espaces non occupés pour que le hip hop, le krump soient vraiment dans la place. « C’est une fierté, conclut Stéphane Deheselle, d’être invités par le Théâtre de Liège. » Voilà qui devrait aller droit au cœur du directeur Serge Rangoni et de Pierre Thys, directeur des relations extérieures et chargé de la programmation danse. « Pays de danses » pourrait bien dessiner un nouveau paysage pour cette danse en devenir que nous attendons tous.

Marie-Christine Vernay
Danse

« Pays de danse », Théâtre de Liège (Belgique), jusqu’au 24 février.

0 commentaires

Dans la même catégorie

Mon prénom est une ancre

Le spectacle “Fuck Me” de la chorégraphe argentine Marina Otero ne cesse de nous entraîner sur des fausses pistes… qui sont loin de mener nulle part.

La danseuse inconnue

À partir d’une image acquise dans une vente en enchères, un voyage dans le temps à la poursuite de Marina Semenova, icône de la danse classique au temps de l’Union soviétique.

La Pavlova

Elle fut la première véritable diva du ballet. La star des tsars. Mondialement connue elle contribua à faire passer la danse de l’artisanat à l’industrie du rêve. Un livre, signé Martine Planells, retrace la vie d’Anna Pavlova, danseuse et chorégraphe de légende.

Bailographies à Mont-de Marsan

La 31e édition du festival Arte Flamenco de Mont-de-Marsan s’est tenue du 2 au 6 juillet. Programmation de qualité, mélange générationnel, la manifestation ne s’essouffle pas. En prime, une très belle expo photo signé Michel Dieuzaide.