Signes précurseurs de la fin du monde : chaque semaine, l’Apocalypse en cinquante leçons et chansons. Ou peut-être moins si elle survenait plus tôt que prévu.
S’il y a un secteur qui n’a pas à se plaindre de l’apocalypse qui vient, c’est bien celui de l’édition. Les essais sur la collapsologie, l’effondrement, la fin du monde se vendent comme des petits pains, et gageons que le succès ira croissant tant qu’il y aura des éditeurs pour les relire (vaguement), du papier pour les imprimer et des angoisses à l’horizon. Même le vieux rapport Meadows, premier à sonner l’alarme dans les années 70, fait à nouveau de très jolies ventes. Le temps approche où les tribus réfugiées en Ardèche dans des yourtes connectées ne viendront plus en ville que pour se rendre chez les libraires, après quelques courses au Biocoop. À moins qu’elles ne préfèrent être livrées par Amazon.
Les titres de quelques-uns de ces best-sellers résument assez bien le cheminement de ce nouveau millénarisme. En 2009, cela donnait un préoccupant Effondrement: Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie (Folio). L’inquiétude montait d’un cran en 2015 avec Comment tout peut s’effondrer (Le Seuil). Trois ans passaient, et les jeux étaient faits avec le définitif Pourquoi tout va s’effondrer (Les Liens qui libèrent). Pourtant, quelques mois plus tard, arrivait en librairie un plus optimiste (quoique) Une autre fin du monde est possible (Le Seuil). On nous annonce pour le mois prochain la sortie en poche de Faire face à l’effondrement : Politique de la catastrophe (PUF). Parions sur un prochain Choisissez votre fin du monde chez Gallimard Jeunesse et Dix positions coquines pour l’Apocalypse à La Musardine.
Depuis, disons, la chute du Mur puis l’avènement du Web, la société humaine n’avait plus d’horizons ; elle sombrait dans un morne désespoir, et la démocratie dans une impasse. Or voilà qu’une nouvelle perspective se dessine devant elle : la fin de tout. Cet horizon-là, il va nous falloir apprendre à l’aimer. La chose sera sans doute moins difficile qu’on ne le croit. D’abord parce que cela peut être un projet politique — « il est plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme », a naguère grincé le philosophe Slavoj Žižek. Ensuite parce que le chaos nous promet une passionnante partie de campagne : le survivalisme ambiant ne réveille-t-il pas notre âme de boy-scouts et de jeannettes ? On va ressortir les Opinels pour faire des feux de camps. Tendre des bâches pour recueillir l’eau de pluie. Partager une savonnette à six ou sept. La définition du bonheur. Le septième sceau sera brisé sur une planète jonchée de manuels de survie. D’ailleurs, les éditions Amphora promettent pour juin un Manuel de Survie en Milieu Forestier, un Manuel de Survie en Milieu Montagnard ainsi qu’un Manuel de Survie par Grand Froid d’une actualité moins brûlante.
Les plus aisés quitteront leur appartement parisien pour aller se réfugier dans leur résidence secondaire à Étretat — si toutefois les premiers partis de la capitale ne l’ont pas déjà squattée — avec le sentiment de partir pour une grande et belle aventure. À quand un Manuel de survie à Étretat en hiver, répertoriant les crêperies ouvertes hors saison ? Les plus démunis n’auront pas ce genre de préoccupations, ni les mêmes options, mais la survie ne sera pas pour eux un territoire nouveau.
Oui, apprenons à aimer le grand merdier qui vient, pour autant qu’on arrive à franchir le périphérique, en chantant avec Alex Beaupain :
On voudrait quitter la ville
Passer des Buffalo Grills,
Des hôtels Campanile
Quitter la ville
Retrouver la vie facile
Des tas d’idées campaniles
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