La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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| 12 Oct 2020

C’est l’histoire d’une fausse mauvaise traduction devenue virale. Un fake qui a ceci de réjouissant : il met la traduction à l’honneur.

Qui n’a pas lancé des SOS à saint Jérôme, ou tout simplement pouffé à la lecture d’un menu, d’une étiquette ou d’un mode d’emploi rédigé dans une langue que ceux qui maîtrisent un tant soit peu la leur jugent fautive, plaisante ou ridicule, selon le degré de rigueur, d’humour ou d’arrogance de chacun. Une page Facebook est même spécialisée dans le recensement de ces Traductions de Merde. Citons, parmi les derniers recensements de TdM, ces « pois chiches couilles » (chick peas balls) et ce « ham believed » (jambon cru) à déguster en apéritif, ou bien encore le « manuel à trancher la reine des neiges » (manual frozen meat slicer) vendu sur Amazon au rayon Maison et cuisine,

La paternité de ces traductions  est bien souvent la même : Google Translate, aka Gougueule Trad, aka Georges Traître.

Qui semblait avoir encore frappé au moment de la visite du pape François en Amérique latine. En 2015, une image circule sur des réseaux sociaux : à bord de sa papamobile, Jorge Mario Bergoglio, dit François, se balade au beau milieu d’une foule exaltée, apparemment désireuse de lui souhaiter la bienvenue et de s’assurer qu’il a bien compris le message. Quitte à le lui traduire. En anglais. Allez savoir pourquoi, puisque François est argentin et que les drapeaux brandis dans ladite foule laissent penser que la photo a été prise à Cuba. Il n’empêche, le résultat fait sourire :

Welcome Potato / Never Trust Google Translate

Welcome Potato.

Parce que le pape, comme la pomme de terre, est désigné par le mot papa en espagnol d’Amérique latine.

Ci-dessus, la photo accompagnée d’un avertissement adressé à ceux et celles qui continuent à faire confiance à Georges Traître : Never Trust Google Translate.

Mais Georges, cette fois, n’y était pour rien.

La faute à qui, alors ?

À Photoshop.

Ci-dessous, la photo (Reuters) originale (aux dires de ceux qui l’ont publiée avant nous et dont nous diffusons à notre tour le fake si c’en est un).

Laissons de côté le brin de condescendance que l’on peut se risquer à identifier chez qui aura inventé (gros malin) mais attribué à d’autres (moins malins) ce faux non-sens. Et réjouissons-nous : on ne se contente plus, désormais, de montrer du doigt des traductions fautives. On en invente.

Minute, butterfly…

Double fake, en fait. Car la blague ne date pas de la visite de François à Cuba, mais de celle de Jean-Paul II, bien des années plus tôt. Et plusieurs journaux de citer le Los Angeles Times qui, le 22 janvier 1998, louait le sens de l’humour des Cubains et faisait notamment référence au « bilingual billboard, created by someone who didn’t look very far in the dictionary, and came up with “Bienvenido Papa”–“Welcome, Potato” ».

Conclusion : la mauvaise traduction n’en était pas vraiment une, le pape n’était pas celui que l’on croyait, mais tout le monde en a parlé.

Dans ce genre de situation, mieux vaut laisser la parole à L’Indéprimeuse :

Qui dit mieux ?

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