La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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| 22 Oct 2016

“2017, Année terrible” : chaque semaine, une petite phrase de la campagne des présidentielles passe sous l’hugoscope. Car en France, lorsqu’il n’y a plus rien, il reste Victor Hugo.

Au Panthéon, la semaine dernière.

Caricature de Victor Hugo, représenté assis sur le Théâtre français et l'Académie française. Dessin de Benjamin paru dans le Panthéon charivarique en 1841.Une voix : Hugo, le saviez-vous, on parle encore de vous dehors.

Hugo : Qui va là ?

La voix : Jacques-Germain Soufflot, pour vous servir.

Hugo : On vous a casé là, vous aussi ? Eh bien Soufflot laissez-moi vous dire que votre bâtiment est bien mal foutu et que l’on y gèle.

Soufflot : J’avais fait les plans d’une église, pas d’une nécropole. Je n’y suis pour rien.

Hugo : Je vous pardonne. Vous disiez qu’on parlait de moi ?

Soufflot : Oui, dans un livre dont les gens causent beaucoup en ce moment, Un président ne devrait pas dire ça… Le président François Hollande y évoque son prédécesseur Nicolas Sarkozy en ces termes : C’est le petit De Gaulle. On a eu Napoléon le petit, eh bien là, ce serait De Gaulle le petit.

Hugo : Je reconnais ma formule en effet. Napoléon III aurait-il un successeur ?

Soufflot : Si l’on veut. Mais celui-là n’est pas empereur, et il n’est plus au pouvoir de toute façon.

Hugo : Eh bien je n’aurai donc pas à m’exiler une nouvelle fois. C’est presque dommage, j’aurais bien aimé que mes cendres reposent dans la cave de Hauteville House. Connaissez-vous Guernesey, Soufflot ?

Soufflot : Le livre vous cite aussi dans son épigraphe. Les auteurs ont choisi d’y reproduire quelques vers de votre Année terrible, du temps où vous réclamiez l’amnistie des communards devant le Sénat.

Hélas ! Combien de temps faudra-t-il vous redire
À vous tous, que c’était à vous de les conduire,
Qu’il fallait leur donner leur part de la cité,
Que votre aveuglement produit leur cécité ;
D’une tutelle avare on recueille les suites,
Et le mal qu’ils vous font, c’est vous qui le leur fîtes.
Vous ne les avez pas guidés, pris par la main,
Et renseignés sur l’ombre et sur le vrai chemin ;
Vous les avez laissés en proie au labyrinthe.
Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte

Hugo : Cette fois je reconnais À ceux qu’on foule aux pieds. Il y a encore des sénateurs et des communards dehors ?

Soufflot : Assez peu de communards.

Hugo : Alors pourquoi cette exergue ?

Soufflot : Cela me semble être un reproche fait de manière sibylline à François Hollande, mais je peux me tromper. Les auteurs vous citent également en tête du chapitre 5 : “Les diplomates trahissent tout excepté leurs émotions.”

Hugo : C’est une jolie formule mais je ne me souviens pas de l’avoir écrite. C’est tout ?

Soufflot : Je n’ai pas tout lu mais je trouve que c’est déjà pas mal pour un homme qui, excusez-moi, est mort depuis plus d’un siècle.

Hugo : Eh bien moi je trouve que ce n’est pas assez. Que l’on me cite à tort, et à travers en plus, c’est un piètre service qu’on rend ici aux gens. Relisez-moi vraiment, cessez donc, minus, de piocher dans mes oeuvres, et si insolemment. C’est l’avenir qu’on rend d’avance furieux ! Travailler pour le pire en faisant pour le mieux, finir tout de façon qu’un jour tout recommence, nous appelons sagesse, hélas ! cette démence. Le droit meurt, l’espoir tombe, et la prudence est folle. Il ne sera pas dit que pas une parole n’a, devant cette éclipse affreuse, protesté. Je suis le compagnon de la calamité.

Édouard Launet
2017, Année terrible

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