La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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Un dernier pour la route
| 03 Mai 2017
“2017, Année terrible” : chaque semaine, une petite phrase de la campagne des présidentielles passe sous l’hugoscope. Car en France, lorsqu’il n’y a plus rien, il reste Victor Hugo.

Voilà, c’est fini. Il était temps, elle n’était plus très drôle, cette campagne. Victor Hugo époussette le couvercle de son caveau, puis, en ahanant, le fait glisser de quelques dizaines de centimètres afin de s’introduire dans le cercueil de pierre et s’y allonger de nouveau. Il laissera un gardien remettre le couvercle en place car lui n’en a plus la force ; il n’a plus que celle de grogner. Il est temps que je re-désemplisse le monde, murmure l’auteur des Misérables. Il ferme les yeux et exhale un puissant soupir de lassitude qui, s’échappant dans les couloirs de la crypte du Panthéon, fait claquer les portes. S’ensuit cette scène pathétique.

Victor Hugo et Alexandre Dumas

Zola ronfle. Alexandre Dumas père, toujours d’attaque, vient s’accouder au caveau de Hugo et lui tend une bouteille de calvados.

– Un petit dernier pour la route, cher ami?

Hugo rouvre les yeux et sourit à Dumas.

– Ce n’est pas de refus. La nuit sera longue, et la route aussi.

Hugo, couché, boit à la bouteille et rend le flacon à Dumas. Ce dernier est d’humeur causante.

– Eh bien les jeux semblent faits dehors. Louis-Napoléon Bonaparte fut le premier, le jeune Emmanuel Macron sera le vingt-cinquième. Les temps se suivent et se ressemblent, non ?

– Certes, mais les combats ne sont plus les mêmes, répond Hugo. Je dois vous avouer cependant que beaucoup de choses m’échappent aujourd’hui. Je dois vieillir. Repassez-moi donc cette bouteille, mon cher Dumas.

– Les combats sont toujours les mêmes : le fort contre le faible, l’oppresseur contre l’opprimé, le banquier contre le manant, la liberté contre l’autoritarisme. Mais le calvados n’est plus ce qu’il était.

– Il me semble qu’il a moins de goût, acquiesce Hugo.

Victor Hugo reboit.

– Vous voulez dire qu’il n’a plus de goût du tout ! s’exclame Dumas. Je crois que ce dont la France aurait besoin aujourd’hui, c’est d’abord d’un bon calva. Un breuvage qui réveille vraiment.

Dumas prend une nouvelle lampée et rote.

– Sans être franchement malhonnête, au premier abord, comme ça, il a l’air assez curieux, n’est-ce pas Victor ?

– Je dois reconnaître que c’est assez brutal, répond Hugo, qui n’a jamais beaucoup bu.

– Faut quand même admettre que c’est plutôt une boisson d’homme.

Dumas descend derechef un bon quart de litre.

– Vous ne savez pas ce qu’il me rappelle, mon vieux Victor ? Cette espèce de drôlerie qu’on buvait sur les boulevards, pas très loin du théâtre de la Renaissance… Les volets rouges… et la taulière, une blonde… Comment qu’elle s’appelait déjà, nom de Dieu ?

– Lulu la Nantaise.

– Vous avez connu ! ?

– C’est chez elle qu’on est allés boire après la première d’Hernani.

Hugo finit la bouteille.

– Toute une époque, reprend Dumas. Cinquante kilos de pomme, un sac de sciure de bois, et elle te sortait vingt-cinq litres de trois étoiles à l’alambic. Une vraie magicienne. Et c’est pour ça que je me permets d’intimer l’ordre à certains salisseurs de mémoires de bien vouloir fermer leur claque-merde !

– Vous dites ça pour moi ?

– Mais non, bien sûr. Je dis ça parce que je suis déçu. Aucune révolution en vue ! Aucun espoir à l’horizon ! L’horizon est bouché par une donzelle vulgaire et malfaisante.

– Savez-vous ce qui arrête les révolutions à mi-côte, Dumas ? La bourgeoisie. Pourquoi ? Parce que la bourgeoisie est l’intérêt arrivé à satisfaction. Hier c’était l’appétit, aujourd’hui c’est la plénitude, demain ce sera la satiété. La satiété pour quelques-uns. Quant à l’espoir, il faudra attendre quelques semaines ou quelques années de plus.
Hugo hésite et poursuit.
– Il n’y a pas que de la pomme là-dedans. Ça ne serait pas de la betterave, par le plus grand des hasards ?

Peu après, les deux hommes s’effondrent ivres, puis morts.

Emmanuel Macron accède à la magistrature suprême.

Le rideau tombe.

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