“2017, Année terrible” : chaque semaine, une petite phrase de la campagne des présidentielles passe sous l’hugoscope. Car en France, lorsqu’il n’y a plus rien, il reste Victor Hugo.
Le dimanche 5 février, Jean-Luc Mélenchon va se dédoubler. Le candidat de France Insoumise sera en meeting en chair et en os à Lyon, et simultanément présent à Aubervilliers … sous forme d’hologramme. Une grande première, se félicite Mélenchon, qui vante une victoire de « l’esprit des sciences et du partage ». Son porte-parole Alexis Corbière est beaucoup moins enthousiaste.
Corbière : Jean-Luc, annule ce truc, je t’en prie, je vois déjà ce que les médias vont dire : Mélenchon a trouvé le moyen de dire les mêmes conneries en deux endroits à la fois.
Mélenchon : Mais pourquoi seulement deux endroits ? On ne pourrait pas projeter mon hologramme dans cinq ou six villes ? Et pourquoi pas dans toutes les communes de France pendant qu’on y est ?
Corbière : Ça coûterait super cher, mais bon ça ne serait pas techniquement impossible. Il y a quelques années en Inde, un type qui faisait campagne pour sa réélection a fait causer son avatar dans plus de cinquante villes. Mais crois-moi, pour toi ça ne changerait rien au fond du problème parce que les mecs écriraient : Mélenchon a trouvé le moyen de dire les mêmes conneries dans 36 000 communes à la fois.
Mélenchon : Dis-moi, il a été réélu cet Indien ?
Corbière : Oui.
Mélenchon : Alors tu vois bien ! Non non, on n’annule rien du tout. Je fais déjà un carton sur Youtube, il n’y a pas de raisons que je ne casse pas la baraque sous forme de petit mickey en 3D. Et puis ça fait moderne, non ?
Corbière : Moderne ? Mais arrête, les hologrammes c’est un truc pour vieilles gloires de la variétoche. Regarde, ils viennent de ressusciter Sacha Distel, Mike Brant, Dalida et Claude François pour un spectacle ringardissime au Palais des Congrès.
Mélenchon : Et alors ? Ils ne sont pas populaires ces gens-là ?
Corbière : Si, mais ils sont morts !
Mélenchon : Mike Brant est mort ?
Corbière : Puisque je te le dis.
Mélenchon : Il faudra que je dise quelques mots sur lui dans mon prochain meeting.
Corbière : C’est plus vraiment d’actu, mais si tu y tiens… Tu pourras même inviter son hologramme sur scène à côté du tien si ça t’amuse !
Mélenchon : Tu sais que tu me donnes une super idée, là ?
Corbière : Je déconnais, Jean-Luc. Non, je t’en supplie, laisse tomber cette histoire de meeting holographique, on va se rendre ridicule. Tu vas ressembler à Dark Vador et puis s’il y a une coupure de courant, ça va être la cata. Pfuit ! Plus rien, évaporé ! Les gens rigoleraient, ils diraient : Mélenchon, le candidat qui se désintègre avant même le premier tour.
Mélenchon : Tu vois, le problème avec toi Alexis, c’est que tu ne crois pas au progrès. Victor Hugo disait…
Corbière : Ah non, lâche-moi avec Hugo !
Mélenchon : Victor Hugo disait que le progrès matériel va avec le progrès moral. Il a chanté le bateau à vapeur dans Les Travailleurs de la mer, les techniques nouvelles dans Les Misérables, il a vanté l’aéroscaphe dans un poème.
Mélenchon se met déclamer :
Superbe, il plane, avec un hymne en ses agrès ;
Et l’on croit voir passer la strophe du progrès.
Il est la nef, il est le phare !
L’homme enfin prend son sceptre et jette son bâton.
Et l’on voit s’envoler le calcul de Newton
Monté sur l’ode de Pindare.
Corbière : Hugo a aussi écrit : « Loin de se dilater, tout esprit se contracte / Dans les immensités de la science exacte. »
Mélenchon : Tu chipotes là, c’était pour la rime.
Corbière : Et si jamais tu te faisais pirater ton hologramme ? Et si un hacker lui faisait raconter des énormités ?
Mélenchon : Ah bon ? C’est possible ça ?
Corbière : C’est pas impossible, donc c’est faisable.
Mélenchon : Alors c’est un risque à prendre. Et puis il n’y aura qu’à faire causer mon double en léger différé, comme ça on pourra filtrer en cas de problème.
Corbière : Je n’arriverai pas à te faire renoncer, hein ?
Mélenchon (imitant la voix de Dark Vador) : Si tu n’es pas avec moi, alors tu es contre moi, jeune Padawan. Allons pulvériser l’étoile noire du capital à coups de sabre laser !
Alexis Corbière sort, extrêmement inquiet.
Édouard Launet
2017, Année terrible
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