“2017, Année terrible” : chaque semaine, une petite phrase de la campagne des présidentielles passe sous l’hugoscope. Car en France, lorsqu’il n’y a plus rien, il reste Victor Hugo.
Le commissaire Morandeux et son adjoint Bourmal poursuivent leur enquête sur la disparition des restes de Victor Hugo, odieusement arrachés à son caveau du Panthéon dans la nuit du 2 au 3 décembre. Pour l’heure, leur principal suspect est le dénommé François Fillon qui, quelques jours avant les faits, avait clamé dans un discours, Porte de Versailles : “La servitude dans l’inaction, c’est fini ! Le gaspillage de nos énergies, c’est fini ! L’abandon de notre destin, c’est fini ! Comme Victor Hugo, ‘je veux que la République ait deux noms : qu’elle s’appelle Liberté et qu’elle s’appelle chose publique !’”
Voilà deux bonnes heures que l’interrogatoire a commencé. Le suspect s’entête à nier, alors que tout indique qu’il est bien l’auteur d’une profanation de sépulture.
Morandeux : Bon, on va pas y passer la nuit, mon coco. Je te laisse une dernière chance avant que mon adjoint te remette une baffe. Hein, Bourmal ?
Bourmal (se frottant les pognes) : Quand vous voulez, chef !
Fillon : Je vous répète que j’ai passé toute la nuit au E Dessa Bar Kebab, rue Saint-Denis à Sablé-sur-Sarthe. J’épelle si vous voulez…
Bourmal lui flanque une claque magistrale.
Morandeux (à son adjoint) : Mollo, allez pas nous l’abîmer comme l’autre, là, comment qu’il s’appelait déjà, celui que vous avez envoyé à l’hosto ?
Bourmal : Copé.
Morandeux (à Fillon) : Tu veux pas finir comme Copé, hein ?
Fillon : Je ne préférerais pas. Ce n’est pas le sens de mon combat.
Morandeux : A la bonne heure ! Alors ça veut dire quoi : La servitude dans l’inaction, c’est fini ? Où t’as été pêché ça ? Chez Marx ? Chez Lénine ?
Fillon : Chez Montesquieu. “La servitude commence toujours par le sommeil” est-il écrit dans L’Esprit des Lois.
Morandeux : Et c’est pour ça que tu es allé réveiller Victor Hugo, et c’est pour ça que tu l’as kidnappé. Ben tu vois, c’était pas compliqué. Tu signes là et chacun rentre chez soi.
Fillon : Ce n’est pas moi.
Bourmal frappe à nouveau. Fillon tombe de sa chaise.
Morandeux (à son adjoint) : Vous me relevez ce crétin et vous vous contrôlez, bordel !
Bourmal : Il m’a fait mal à la main, ce con.
Morandeux (à Fillon) : On a vérifié ta citation de Victor Hugo. Elle n’existe pas. Pas dans Choses vues en tout cas. Tu vas sans doute nous dire que c’est du Shakespeare, maintenant ?
Fillon : Je n’avais pas vérifié. J’ai trouvé la phrase dans un dictionnaire de citations. Je ferais un rectificatif si vous le désirez. Mais, de grâce, demandez à la brute qui vous fait fonction d’adjoint de se calmer.
La brute assène un coup de tête au vainqueur de la primaire de la droite et du centre, qui roule à terre et s’évanouit
Morandeux : Ah merde, Bourmal, il allait avouer !
Bourmal : On a déjà suffisamment de preuves comme ça, non ? Dans son discours, il a dit aussi, je cite : “Notre histoire est-elle celle d’une nation tiède ? Est-ce pour leur prudence que nous admirons Jeanne d’Arc, Gavroche, Bonaparte, Clemenceau, De Gaulle ?” Ce type-là est un excité, c’est clair comme de l’eau de roche.
Morandeux : Quand même, Jeanne d’Arc et Gavroche, c’est pas raccord du tout. Ce mec nous cache quelque chose. Allez chercher une bassine de flotte, Bourmal, on va reprendre depuis le début.
Édouard Launet
2017, Année terrible
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