“Footbologies” : les mythes et les représentations propres à un championnat de football analysés journée après journée de Ligue 1.
Il faut s’être comporté bien mal dans une vie antérieure pour se réincarner en supporteur de certains petits clubs destinés à ne jamais rien gagner. Une malédiction qui se transmet d’une vie à l’autre et à travers les générations, car on hérite de la passion de son père, comme de sa fortune ou ses dettes, comme d’une maladie congénitale. On vient au monde avec, on n’y peut rien. C’est comme de naître quelque part. Le supporteur de football sait qu’il faut accepter son sort, mais ne jamais s’y résigner, car on se sauve par ses œuvres.
Le supporteur de petit club, c’est Sisyphe qui pousse chaque semaine son rocher vers le sommet de la colline, et le voit dévaler chaque samedi dans l’avalanche de ses espoirs. C’est Tantale, plongé dans un fleuve de gloire où il ne peut boire, sous un arbre chargé des fruits de la victoire qu’il ne peut atteindre. Pire encore, car Tantale était seul au supplice, alors que le supporteur de petit club voit les autres se désaltérer d’eau fraîche et se goberger de fruits devant lui, et il se dit : un jour, moi aussi…
Car il tient aussi de Prométhée, doublement : parce que chaque week-end le vautour de la défaite – et parfois l’aigre bière des stades – dévore son foie que l’espoir reconstitue la semaine, mais aussi parce qu’il est le héros révolté, le titan qui sait les dieux vengeurs, mais aussi qu’on peut leur dérober le feu sacré. Pour le supporteur de petit club, le football est une école d’espérance, au sens le plus chrétien du terme, car il se sait condamné à croire sans preuve. Oh, il a connaissance de quelques miracles dans le passé, d’un quart de finale inespéré, d’un bon parcours en coupe, mais chaque semaine la réalité met sa foi à dure épreuve. Alors, il s’imagine devoir mériter son salut : plus fort il chantera et plus ses prières auront de chances d’être exaucées. Il donnera de son temps et de son argent. La récompense viendra du sacrifice de soi. Comme les joueurs et leur sacrosaint “c’est à nous de”, il croit au salut par les œuvres. Ce n’est pas à encourager leur équipe que sont destinés les chants des supporteurs de petit club, mais à se concilier les bonnes grâces des dieux !
C’est pourquoi le suspense ne les intéresse pas. Dernièrement, les détracteurs du football – et ceux du Paris-Saint-Germain – se plaignent de ce que l’hégémonie du club de la capitale fait perdre au championnat son intérêt. Pas le supporteur de petit club. Le PSG, l’OM ou Lyon, que lui importe ? Ce ne sont que des noms qu’emprunte le Destin, celui-là même que Gary Lineker appelait Allemagne. Qu’importe au supporteur quel club gagne à la fin, du moment que ce n’est pas le sien ? Le suspense, c’est le luxe, c’est la cerise sur le gâteau : encore faut-il avoir un gâteau. Le supporteur de petit club se contente de trop rares biscuits, il doit son pragmatisme à l’expérience des disettes, sa patience est celle de plusieurs générations de privations. Il s’en tient à la sagesse populaire : le mieux est l’ennemi du bien, et un tien vaut mieux que deux tu l’auras. Qu’on aille vanter les mérites du suspense au supporter d’Angers, défait 3-1 à Lorient après avoir mené 0-1, ou à celui du TFC, qui a vu Reims revenir de 2-0 à 2-2 !
Le suspense, c’est le rocher de Sisyphe qui reste quelques inhabituelles secondes en équilibre avant de rouler, c’est une vague qui fait monter les eaux de Tantale, le vent qui fait baisser les branches, toujours trop fugacement. Qu’importe, le supporteur de petit club est habitué aux caprices du Destin, à l’ironie des dieux du football. Comme le géant Atlas, il porte son fardeau sans rien dire, en attendant qu’un Hercule vienne l’en délivrer. Et, martyr du sport, il croit dur comme fer que chaque gorgée de fiel qu’il avale, chaque gramme rajouté à la croix qu’il porte, le rapprochent un peu plus de la rédemption, et son club de la consécration !
Sébastien Rutés
Footbologies
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