Avec son solo Hope Hunt qui avait remporté le prix du jury et le prix du public du concours (re)connaissance au Pacifique de Grenoble en 2017, la danseuse et chorégraphe nord-irlandaise (de Belfast) Oona Doherty avait conquis les spectateurs. Elle s’était mise à l’écoute des gestes des jeunes Irlandais « déclassés » et machistes. Au-delà des genres, sa pièce – éprouvante pour son propre corps à la féminité masquée par des vêtements amples et anodins – tenait tout à la fois d’une danse documentaire et d’une partition ciselée renouant avec l’art performance. On retrouve ces mêmes qualités en début de sa création pour la Biennale de la danse de Lyon.
Dans une boîte noire où des lumières urbaines strient l’espace, elle reprend cette danse bouleversante où les gestes des jeunes gens éduqués à cacher leurs émotions, à se gonfler les pectoraux, à cracher sur des plus faibles, à se défier, à rugir de colère sont incorporés à sa propre gestuelle dressée à être une femme irlandaise, soumise aux dogmes religieux et au conservatisme et normes sociales. Ce solo – Lazarus et les oiseaux du paradis, de 2016 – en résonance avec les voix enregistrées d’habitants et avec le Miserere Mei de Gregorio Allegri (beau travail de design sonore de David Homes) dit son empathie et son envie de changement social.
Puis l’on passe sans transition à un tableau où de jeunes danseuses plutôt hip hop se battent contre les modèles imposés et s’emparent encore trop timidement du haka masculin. La danse de cet épisode féminin – Sugar Army – est plus lâchée et l’on doit avouer que notre esprit se prend alors à vagabonder. Ce n’est pas le cas avec un duo d’hommes qui arrive brutalement aussi. On retrouve le danseur et chorégraphe John Scott qui s’affronte avec Sam Finnegan, père contre fils, tout contre pourrait-on dire aussi. Car, bien que coriaces, les deux ne peuvent s’empêcher de s’aimer et la danse oscille entre une lutte sénégalaise et une accolade. Là encore, comme le titre du spectacle – Hard to be soft, a Belfast Prayer (Dur d’être doux, une prière pour Belfast) – l’indique, les conventions sociales qui entravent la liberté des corps sont mises à mal.
À la fin du spectacle, une porte semble s’ouvrir pour une échappée belle mais la lumière se resserre pour n’être plus qu’une ligne blanche. Artiste associée cette saison 2018-2019 à la Maison de la danse de Lyon, Oona Doherty devrait avoir l’occasion d’imposer sa signature, même si l’on comprend son attention pour les gestes et les propos recueillis.
Marie-Christine Vernay
Danse
Biennale de la danse de Lyon, jusqu’au 30 septembre, 04 27 46 65 65
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