“2017, Année terrible” : chaque semaine, une petite phrase de la campagne des présidentielles passe sous l’hugoscope. Car en France, lorsqu’il n’y a plus rien, il reste Victor Hugo.
“On ne fait pas rêver le peuple français avec des mesures techniques, des décrets. La France aujourd’hui doit se doter à nouveau d’un récit national.”
Annonce quasi programmatique faite le 1er septembre par Emmanuel Macron lors de sa visite à la foire de Châlons-en-Champagne, où l’ancien ministre était venu dès le lendemain de son départ de Bercy pour, selon ses propres termes, “écouter la vraie vie des vrais gens”. On ne sait si cette enquête sociologique expresse à la foire a fourni à l’ex-banquier d’affaires suffisamment de matière pour nourrir son roman ; il est certain, en revanche, que le récit macronnien sera un fleuve allégorique charriant de grandioses métaphores. Le jeune homme avait à peine remis les clés de Bercy à Michel Sapin que déjà sa parole se libérait et entamait l’ascension de l’Olympe littéraire. “Si vous voulez prendre la mer sans risque de chavirer, alors n’achetez pas un bateau, achetez une île”, avait lancé le bel Emmanuel à la ville et au monde, citant ici Pagnol (la phrase est issue de Fanny). Macron s’était ensuite employé à développer sa formule devant un auditoire ébahi par tant d’audace. En résumé : Bercy serait une île formidable, une île essentielle de l’archipel que forme l’État, mais qui, de par sa nature même, est sans cap et sans sillage. Or l’époque imposerait de prendre des risques, “et si j’ose cette métaphore : de prendre la mer”, ajouta le romancier national. Conclusion : “Je me devais de prendre la mer dans une embarcation résolument plus frêle mais avec un cap.”
L’embarcation plus frêle était-elle une des navettes fluviales du ministère que le démissionnaire emprunta ce jour-là, ou la veille on ne sait plus, pour circuler entre l’Élysée et Bercy ? Il faudrait alors en conclure que le nouveau cap est en gros nord-ouest à l’aller et sud-est au retour. Il y aurait là comme le début d’un roman, effectivement. Soudain surgi de son tombeau du Panthéon pour se ruer sur les bords de Seine, Victor Hugo nous décrit ainsi la croisière ministérielle et son capitaine : “On le voyait ainsi de loin dans la rafale, debout sur l’embarcation, ruisselant de pluie, mêlé aux éclairs, avec la face d’un lion qui aurait une crinière d’écume. Il passait toute sa journée dans le risque, dans la vague, dans la grêle, dans le vent, accostant les navires en perdition, sauvant les hommes, sauvant les chargements, cherchant dispute à la tempête. Le soir il rentrait chez lui et tricotait une paire de bas.” (Les Travailleurs de la mer). Macron poète, navigateur, figure de proue, romancier de la France, et excellent tricoteur avec ça.
Le jeune homme pressé va donc nous tisser en quelques mois un récit national à nous filer le mal de mer. Qu’a-t-il contre les îles ? Pourquoi ne s’exilerait-il pas quelques années à Guernesey pour réfléchir à son grand oeuvre, pour toiser Paris par-dessus les mers et crier aux embruns : “Quand la liberté rentrera, je rentrerai !” ? Hélas, ce genre de choses ne se fait plus. Aujourd’hui les grands combats politiques se déroulent en quelques mois, sinon en quelques semaines. La vacuité contemporaine commande de partir de nulle part pour n’aller nulle part, et de le faire le plus vite possible. C’est le genre de navigation où Macron devrait exceller.
“J’ai le sentiment qu’on continuera à entendre parler de toi”, a dit Michel Sapin en faisant ses adieux au marin. On ne sait quelle dose d’ironie le successeur de Macron a mis dans cette oraison. Il eût été tellement plus simple de dire : bon vent !
Édouard Launet
2017, Année terrible
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