“Gers : soixante pintades meurent paniquées par un survol d’hélicoptères de combat.”
C’était dans le village de Mormès, entre Auch et Mont-de-Marsan. Les hélicoptères venaient de la base de Pau. Ils n’ont pas eu à tirer un seul missile puisque le bruit a suffi à neutraliser l’ennemi. Les pintades, effrayées, se sont ruées contre le grillage où beaucoup ont péri étouffées. L’éleveur a porté plainte.
Si un des hélicos avait effectivement balancé un missile, le résultat aurait été à peu près le même dans la population pintadienne. “Delta 12, j’ai un groupe hostile au 310, altitude 0. Demande permission de faire feu.” “Roger, Alpha 4. Tir autorisé.” “OK. Laser on. Missile activé.” Et shhpplafff dans la basse-cour. C’est vrai que les pintades sont des oiseaux plutôt patibulaires, quoique généralement paisibles quand nul ne les embête. Jules Renard en parlait, si l’on en croit Wikipédia, comme des “bossues de la cour au crâne chauve et à la queue basse” qui “ne rêvent que plaies à cause de leur bosse”. Comment ne pas faire feu après ça ? “Delta 12, cible traitée. All clear, over.” Évidemment, un tel nettoyage de basse-cour aurait fait dans les médias un peu plus qu’un simple fait-divers, et il n’aurait pas été nécessaire d’attendre la trentième minute du JT du soir pour en entendre parler.
Pau héberge le 5e régiment d’hélicoptères de combat qui, si nos informations sont exactes, exploite des engins performants : seize hélicoptères légers Gazelle, douze hélicoptères nouvelle génération Tigre, seize hélicoptères de manœuvre Puma et deux Cougar rénovés, ainsi que des radars mobiles équipés du système polyvalent d’atterrissage, de recueil de télécommunication et de l’identification de l’altitude (SPARTIATE) pour guider les atterrissages en tout temps à partir de 40 km. On ne sait si ce sont les Tigre ou les Puma qui ont mortellement effrayé les pintades, mais de toute évidence la basse-cour était mal équipée pour affronter un tel déploiement.
L’affaire nous en rappelle une autre. Il y a quelques années, des chercheurs britanniques firent survoler par des hélicoptères militaires une paisible colonie de manchots à Antarctic Bay, sur l’île de Géorgie-du-Sud. Objectif : observer le comportement des animaux face au bruit des aéronefs. Durant la guerre des Malouines, des pilotes anglais avaient en effet observé – ou cru observer – que des manchots tombaient à la renverse lorsque leurs avions les survolaient. Il leur semblait que les oiseaux sans ailes, fort curieux, levaient la tête et regardaient les engins passer au-dessus d’eux… jusqu’à basculer sur le dos. Au terme de cinq semaines d’expériences et de dix-sept survols à différentes altitudes, les scientifiques ont pu rassurer tout le monde : aucune chute de manchot n’avait été enregistrée. Les animaux devenaient silencieux à l’approche de l’hélicoptère, ils s’intéressaient à cette chose bruyante. Certains d’entre eux se carapataient, car on ne sait jamais, mais les autres regardaient puis reprenaient leurs occupations polaires comme si de rien n’était.
Cela ne laisse guère que deux options : soit le 5e régiment d’hélicoptères de combat s’en va prendre ses quartiers en Terre Adélie, soit les gersois se reconvertissent dans l’élevage de manchots.
Édouard Launet
Sciences du fait divers
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