En 1771, Rousseau donne des lectures publiques des Confessions chez le prince royal de Suède et chez la comtesse d’Egmont. Le succès est considérable. On en parle dans le beau monde. Le texte pourtant heurte la sensibilité et les bonnes mœurs des personnes vertueuses. Mme d’Épinay, en froid avec celui qu’elle avait d’abord hébergé à l’Ermitage, demande et obtient l’interdiction de ces lectures.
C’est sans doute dans la crainte de plus amples représailles que Rousseau décida de supprimer le passage que je livre au lecteur. Jean-Jacques se montre en effet sous un jour qu’on ne lui connaît pas, bien qu’on puisse l’apercevoir entre les lignes dans plusieurs des livres de ses Confessions.
Ce texte audacieux m’a été transmis par un psychanalyste dans des conditions qu’il n’est pas opportun de rappeler ici. Lui-même, me dit-il, le tenait de l’ambassadeur de Suisse à Paris qu’il avait eu autrefois comme patient.
Cette femme si tendre et si aimante avait compris les dangers que je courais avant que je les aperçusse tant était grande ma candeur. J’avais jusqu’à ce jour réussi à maîtriser mes sens au moyen de ce dangereux supplément qui trompe la nature, pauvre expédient que seule mon innocence m’avait inspiré. Car si j’ai commis quelques erreurs dans ma vie, je n’ai jamais agi par vice. C’est sans savoir ce que je faisais que je me masturbais et le soir et encore le matin. Mais enfin j’allais sur mes vingt-et-un an et je ne pouvais davantage résister aux charmes des jeunes filles de Chambéry, d’autant que les leçons de musique que je donnais alors me plaçaient souvent en tête à tête avec les plus charmantes figures. C’est alors que Maman décida de me déniaiser par un tour à sa façon que les autres femmes sauront apprécier sans que j’en dise davantage.
Dans ma naïveté je croyais être désormais un peu plus que le simple confident de Maman. Mes sens ont toujours pris les devants sur ma raison. Mes passions s’éveillent alors que je n’ai pas commencé de réfléchir. Le cœur parle avant mon esprit. C’est le lot des gens simples, nés pour aimer plus que pour étudier. Aussi quelle ne fut pas ma surprise lorsque que Maman m’apprit qu’un autre partageait ses faveurs. Claude Anet dont j’ai déjà montré la droiture et la rigueur était l’amant de Mme de Warrens. Je tombai des nues. Tout autre que moi l’aurait sans doute compris bien avant mais j’étais aveuglé par mon amour sincère pour Maman autant que par la vertu de Claude Anet. Elle me mit dans la confidence sans embarras comme on eut parlé de la pluie et du beau temps. Cette femme était d’une espèce rare comme le montre une aventure qui me survint peu de temps après qu’elle m’avait confessé son penchant pour cet homme. Je crois bien que dès ce jour nous formions une sorte de ménage à trois.
J’avais été malade et je n’étais pas encore complètement remis. Mes forces me manquaient parfois. Sans doute le remède de Maman avait-il permis à mes maux de reculer. Mais j’avais encore de temps à autre des vapeurs, des migraines, la machine n’allait pas toujours de son meilleur train. Il m’arrivait aussi parfois d’avoir des crises de colère que je ne pouvais expliquer. Peut-être le fait de devoir partager Maman motivait-il à mon insu une certaine rancœur, et pourtant Claude Anet était le meilleur des hommes que la terre ait jamais porté. Il aimait Maman d’un amour sincère et j’ose dire vertueux. Il cherchait à la rendre heureuse, sa propre félicité passait toujours en second. C’est ce qui m’avait conduit à m’attacher à cet homme. Nous étions deux à vouloir le bien de Maman. Époque bénie qui ne reviendra sans doute jamais. Pouvais-je seulement imaginer alors la suite de malheurs ininterrompus qu’allait être mon existence ? C’est auprès de Maman que j’ai connu mes plus délicieuses années.
Il m’arriva pourtant un jour de lui dire un mot un peu rude pour je ne sais plus quelle raison. Elle en fut fort fâchée et le montra. Claude Anet qui se trouvait comme bien souvent en tiers entre nous deux voulut me sermonner. Malgré moi, j’avais osé rendre Maman malheureuse. Cet aveu cuisant me coûte et je n’ai cessé depuis d’éprouver les plus vifs remords. Mais il me faut tout dire. Dans l’entreprise que j’ai faite de me montrer tout entier au public, il faut que rien de moi ne lui reste obscur ou caché. Bonne Maman, comment aurais-je pu avoir la moindre intention criminelle à ton égard ? Cette seule pensée me fait encore horreur aujourd’hui. Sur le moment cependant, tout entier à ma colère, je ne conçus pas ce qu’avait d’odieux le mot inconsidéré que j’avais lancé et qui avait blessé Maman, car elle était aussi une femme et avait quelquefois de ces pudeurs qui honorent son sexe. Elle fut sur le point de pleurer. Petit l’avait insulté. Elle s’apprêtait à quitter la pièce quand Claude Anet m’attrapa par la peau du dos avec la ferme intention de me corriger. Il me jette sur une chaise, me déculotte et montre à Maman, au monde, à la terre entière cette partie de notre être que nous autres hommes répugnons tant à exhiber. J’implore sa clémence, je jure de ne jamais plus me montrer malhonnête. Rien n’y fait. Je vois en tremblant sa main puissante se lever. Hors de moi, je me tourne vers elle. Maman arbore aux coins de ses lèvres adorées un sourire qui me mortifie. Je veux lui parler, elle me coupe la parole d’un geste méprisant. Je retiens mon souffle, résigné et pourtant déjà vaguement excité. J’aurais voulu dire à Maman que c’était d’elle que j’attendais cette correction. Mais mon destin était de voir mes goûts contrariés. Ô Nature, ne m’as-tu créé que pour souffrir ? Je reçus la fessée des mains de Claude Anet. Je retiens un premier cri, il recommence, enhardi par ce qu’il prend pour de l’insolence. Des larmes chaudes commencent à tremper mes joues. Mais, lecteur, oserais-je le confesser, c’étaient des larmes de jouissance. Maman s’en aperçut la première. Sa générosité la portait à la plus grande clairvoyance, sa bonté allait me pousser dans mes derniers retranchements. Elle s’empare de mon instrument, le tâte, le malaxe tant et si bien que je manque jouir dans sa main. D’un signe de la tête, elle encourage alors son amant à me porter le coup d’estoc pendant qu’elle retrousse ses jupes pour me montrer ce trésor qui n’appartient qu’aux femmes. Imaginez mon inconfort. Je me trouvais pris entre deux feux sans savoir lequel s’éteindrait le premier. Ma tête était à la hauteur du sexe de Maman qui déjà reluisait tandis que mon cul se présentait offert à l’instrument de la punition. Et quel instrument ! Le premier coup fut le plus rude et j’aurais défailli s’il ne m’avait fallu dans le même moment honorer de ma langue des lèvres charnues et si bonnes. Maman commence à se pâmer, Claude Anet s’enhardit et pousse d’autant plus fort qu’il sent en moi une délectation que je ne peux cacher. Petit ! lance Maman au bord de l’extase ; scélérat ! hurle Claude au moment de décharger. Inondé, le visage en sueur, la langue chargée, je jouis à mon tour dans un mouvement incontrôlé que seule la divine providence pouvait avoir inspiré. Mais, mon Dieu, que Tes voies sont obscures. Nous eûmes ensuite plusieurs fois l’occasion de renouveler ce que Maman, dans sa grande bonté, appelait nos petits arrangements.
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