« La littérature mondiale rassemble une communauté de lecteurs au-delà des frontières et des langues. Les traducteurs et traductrices sont les artisans essentiels de la construction de ce patrimoine commun à l’humanité » : c’est par ces mots que s’ouvre le programme de la 7e édition du festival Vo-Vf qui se tient du 4 au 6 octobre à Gif-sur-Yvette dans l’Essonne. Donner la parole aux traducteurs et aux traductrices, c’est la raison d’être d’une manifestation qui occupe une place singulière sur la carte des festivals littéraires. Pas seulement parce qu’elle met à l’honneur les traducteurs mais aussi parce qu’elle a été imaginée par deux libraires.
Pierre Morize et Hélène Pourquié ont repris il y a une dizaine d’années la librairie LiraGif, sise à Gif-sur-Yvette (Essonne). La petite ville de la vallée de Chevreuse, à 25 kilomètres au sud de Paris, n’est pas précisément au cœur d’un désert culturel. Ses habitants sont, d’après les chiffres de l’INSEE, les plus diplômés d’Île-de-France, un phénomène largement lié à la proximité de l’université d’Orsay. Parmi eux, de nombreux chercheurs étrangers ou ayant vécu à l’étranger.
Pierre Morize a lui même été, dans une autre vie, docteur en biologie, diplômé de Princeton, avant de bifurquer vers la réalisation de documentaires et la vulgarisation scientifique. Hélène Pourquié, son alter ego, a été journaliste et traductrice d’italien. L’idée du festival leur est venue à la suite d’une rencontre organisée dans la librairie en 2012 avec l’écrivaine iranienne Zoyâ Pirzâd pour son roman C’est moi qui éteins les lumières, publié chez Zulma. « Le livre était très intéressant, se souvient Pierre Morize, mais elle-même avait un peu de mal à en parler. Alors que Christian Balaÿ, son traducteur qui l’accompagnait, était passionnant, il avait beaucoup plus de choses à dire. J’étais encore en train d’apprendre le métier de libraire et j’étais affolé par la quantité de livres à lire. Je lisais trop. Je me rendais compte que pour vraiment aimer un livre et en parler, il m’aurait fallu beaucoup plus de temps. Et là, j’avais face à moi quelqu’un qui avait pris le temps. D’une certaine façon, le traducteur est le libraire d’un seul livre. »
Aidés par Stéphanie Costes, qui s’occupe de l’intendance et des financements, ils installent le festival les deux premières années au Moulin de la Tuilerie, ancienne demeure du duc et de la duchesse de Windsor, avant que la mairie de Gif ne propose de les héberger au château du Val-Fleury, en plein centre-ville. Claro, écrivain et traducteur de l’anglais, accepte d’être le parrain de la première édition en 2013. André Markowicz, traducteur du russe, lui succède l’année suivante. Tous deux sont depuis des compagnons de route du festival. À Vo-Vf, les traducteurs ne sont pas seulement des invités, mais aussi des pourvoyeurs de livres et d’auteurs pour les éditions à venir. Claire Darfeuille, journaliste et passionnée de traduction – elle y a consacré plusieurs années un blog intitulé Tradzibao, a rejoint Vo-Vf comme responsable de la programmation. Elle se souvient de cette remarque entendue un jour dans la bouche de Christian Bourgois : « En tant qu’éditeur, je lis peu mais j’écoute beaucoup. » « Sur le moment, dit-elle, cela m’avait choquée, aujourd’hui, je crois comprendre très bien ce qu’il voulait dire. » Nourrie de rencontres autant que de lectures, la programmation est une affaire collective, qui fait l’objet d’une réunion mensuelle à la Fabrique Bleue, l’ancien dépôt de livres de la librairie.
L’édition 2019 a pour parrain Jean-Christophe Rufin et pour invitées d’honneur la traductrice de l’hébreu Rosie Pinhas Delpuech et l’éditrice Anne-Marie Métailié, qui fête les quarante ans de sa maison. Au fil de ces trois jours de débats, de rencontres et de lectures, on pourra par exemple écouter Frédéric Boyer parler de sa nouvelle traduction des Géorgiques de Virgile, assister au débat entre Olivier Mannoni (re)traducteur de Freud pour Payot et l’écrivaine et psychanalyste Sarah Chiche, découvrir deux auteurs de polars polonais contemporains, entendre Isabelle Poulin, Bernard Banoun et Pierre Assouline présenter le dernier tome de la monumentale Histoire des traductions en langue française publiée chez Verdier, retraduire du kurde, avec Sandrine Traïda, un extrait du Dernier grenadier du monde de Bakhtiar Ali (Métailié), se plonger, avec le géographe Jean Sellier, dans Une histoire des langues et des peuples qui les parlent (La Découverte)…
délibéré, qui réserve un Coin des traîtres à la traduction et ouvre souvent ses colonnes à des traducteurs, est heureux d’être partenaire de Vo-Vf.
René Solis
Festival Vo-Vf du 4 au 6 octobre à Gif-sur Yvette (91)
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