Les Subsistances aiment à brasser des idées, à mêler les genres et les styles. Elles accompagnent de nombreux artistes de différentes disciplines, n’hésitant pas à leur donner carte blanche pour des créations sur des sujets les plus divers, touchant à l’actualité ou à l’intimité. Lors de “Live, la scène des idées”, dans le cadre du festival Mode d’Emploi qui vient de s’achever, la metteure en scène, auteure et comédienne Hélène Mathon proposait, après résidence dans la structure lyonnaise qui produit également le spectacle (lire ci-dessous les interrogations liées à la baisse de subvention des Subsistances), une pièce sur la schizophrénie : Sister. Du jamais vu, qui renseigne sur cette maladie souvent tue ou chuchotée, traitée essentiellement du point de vue du corps médical ou universitaire et qui concerne pourtant 1% de la population. À 40 ans, Hélène Mathon, après s’être réveillée couchée au milieu des cailloux de la montagne Sainte-Victoire, est devenue épileptique. Cet événement l’a amenée à élaborer un spectacle auquel elle pensait depuis de nombreuses années, qui parlerait de la maladie mentale, qui laisserait percevoir le monde des “esprits fendus” qui lui est devenu familier. Avec le groupe de recherche théâtral dont elle est à l’origine, La Langue Écarlate, qui travaille sur les “sans voix”, elle a enquêté, recueilli des témoignages auprès de frères et de sœurs de malades mentaux via différentes associations. Elle a transmis ces matériaux à l’auteur et poète belge Eugène Savitzkaya, avec lequel elle avait déjà collaboré. Le texte renversant, dont certains passages relèvent de la poésie sonore, nous met directement en relation avec le malade et son entourage, ne parlant pas de la maladie en tant que telle mais de sa perception à travers la fratrie, pointant non pas le dysfonctionnement de l’un de ses membres mais considérant l’ensemble du système familial et sociétal. Sister ouvre des voies, est une plongée vertigineuse dans un monde délirant, trouble, douloureux mais peuplé, avec son trop-plein de bêtes immondes, ses guerres à répétition, ses désertions, ses fleurs qui font tapisserie…
En cela, elle répond à Jean Oury, psychiatre et psychanalyste décédé en 2014 et qui écrivait : “Depuis longtemps déjà, j’essaie de dire que le trouble majeur de la schizophrénie, c’est un trouble de rythme, une forme particulière de dysrythmie. Mais pour la plupart des gens, ce n’est pas facile d’avoir accès à ça. Il y a des passages à niveau qui sont toujours fermés. Alors, il faut trouver des moyens pour essayer d’y aller. Il y a des ‘écrans’, des écrans à la représentation, des écrans de la signification. On sait très bien que quand quelque chose n’a pas de signification, on est ‘affolé’.” (Création et schizophrénie, Paris, éditions Galilée, 1989.) En ce sens, Sister calme le jeu ou le réclame afin que l’on approche physiquement et sans a priori les “fendus”. Le texte s’inspire de la forme ancienne de la ballade, sans en respecter par exemple la versification, et la ballade titube à force de lésions. Le spectacle démarre dans une lumière blanche, un trou blanc, une page vierge. Ce sont les lumières de Sylvie Garot, qui troublent la perception, y compris plus tard lorsque des spots latéraux alignés clignotent et enferment le comédien.
Tout semble inversé. La plasticienne (la sœur ?) Bérengère Vallet qui peint en direct (une véritable performance), le fait derrière l’écran, la toile blanche. Elle raye la toile de traits noirs jusqu’à ce qu’apparaisse une sorte de cerveau noirci. Quant aux ajouts de couleur, ils dessinent progressivement un monstre marin, celui dans lequel plonge le frère, une grosse baleine bien grasse qui avale le corps du malade pour le protéger des agressions extérieures. “Mais bientôt, dit le texte, il enverra valdinguer son apothicaire. Il deviendra gros, mangeant à toute heure du jour et de la nuit pour se fabriquer une graisse protectrice, une cuirasse de pachyderme, un scaphandre de sauvetage, une tenue de cachalot, il absorbera des pommes de terre frites et des fritures de poissons, d’abondantes mayonnaises avec des œufs et du citron, du chocolat à n’en plus finir […] il évoluera dans les mêmes eaux que la pieuvre géante, à l’aide de sa poche à spermaceti il culbutera les porte-avions des armées de l’air, son pénis deviendra rétractable et ses couilles seront à l’abri, il mangera du requin grande gueule et du calmar (…).”
Au service de ce texte visionnaire, le maigre comédien Hubertus Biermann, là encore à l’inverse de la grosse baleine, est tout simplement géant. Il n’a pas de rôle, il est immergé dans le texte. Ses longs bras n’attrapent rien, son genre n’est ni homme ni femme, il navigue plus qu’il ne touche terre, il fait sa propre fête piétinant des confettis répandus au sol, sa chaîne dorée bringuebalant à sa guise, la chemise rouge soyeuse, puis le marcel épuisé. On ne peut plus juste, comme d’ailleurs la création sonore de Thomas Turine.
Eh bien figurez-vous que le public toulousain ne verra pas ce spectacle, les trois représentations des 3 et 4 décembre ayant été annulées par les Théâtres Sorano-Jules Julien faute de réservations. Hélène Mathon, interloquée, a pris sa plume dans une lettre à l’adresse de madame Janine Macca, directrice par intérim : “Malgré l’accord de l’ensemble de notre équipe – prête à réduire sa rémunération –et malgré l’accord de la compagnie – prête à modifier son organisation à la dernière minute –, vous n’avez pas non plus souhaité maintenir une de ces trois dates comme nous vous le proposions. Vous avez préféré confirmer une décision inacceptable. En effet, en choisissant d’honorer le contrat qui lie la compagnie à votre structure – le montant de la cession nous sera versé conformément aux modalités d’annulation prévues – vous nous proposez, ni plus ni moins, d’être payés et de ne pas jouer. La situation est inédite. Vous préférez ainsi dépenser l’argent du contribuable sans contrepartie plutôt que de remettre en question votre propre fonctionnement. Je me permets en effet de souligner qu’il est du ressort d’un théâtre de contribuer à remplir sa salle – et de l’équiper techniquement en cohérence – quand on y prévoit une programmation. Cela s’appelle assumer ses choix et cela s’anticipe.” Précisons que les salles des Subsistances étaient pleines.
Marie-Christine Vernay
Comment faire avec 450 000 euros en moins ?
Telle est la question que se pose, sans avoir la moindre réponse, l’équipe des Subsistances. La Ville de Lyon a décidé de retirer, dans les trois ans à venir, cette somme qui représente 20% du budget global, soit comme le souligne Cathy Bouvard, directrice déléguée, “l’équivalent en argent de la production aux artistes”. Essentiellement lieu de résidence et de création, la structure voit mal comment devenir un lieu de diffusion puisque ça n’a jamais été son objectif et que, qui plus est, les concerts en plein air nuisent au voisinage plutôt boules Quies. L’équipe déjà volontairement réduite ne peut l’être plus. La Région Rhône-Alpes donne quant à elle 300 000 euros. Mais qu’en sera-t-il après les élections ? Le seul espoir reste que le ministère intervienne dans le cadre de son fonds pour les résidences. Alors que ce lieu de recherche qui brasse des publics divers, et notamment jeunes, est une force sans équivalent pour le territoire lyonnais, cette baisse de subvention reste une énigme.
M.-C. V.
[Mise à jour de l’article :]
Le spectacle Sister sera donné le 25 Juin 2016 à 19h à la clinique de La Borde, 120 route de la Tour Sologne – 41700 Cour Cheverny. Merci de confirmer votre présence : 06 74 58 40 43 / la.langue.ecarlate@gmail.com
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