Thomas Jolly doit regretter le temps où l’ensemble de la presse – ou presque – louait son travail pour Henry VI de Shakespeare, à l’heure où la réception de son Richard III est plus contrastée. L’indulgence réservée à son spectacle-fleuve (18 heures avec entracte) était due pour beaucoup à l’énergie déployée par sa troupe de la Piccola Familia, et les faiblesses évidentes étaient estompées par la performance. Las, son nouveau spectacle, bien plus court mais beaucoup trop long, met la lumière sur les manquements de son metteur en scène et interprète du rôle-titre : absence de vision sur la pièce, jeu sans finesse, ruptures de rythmes non-maîtrisées, etc…
Édouard Louis doit regretter le temps où l’ensemble de la presse – ou presque – louait son travail pour En finir avec Eddy Bellegueule, sensation de la rentrée littéraire de janvier 2014. Deux ans plus tard, Histoire de la violence met peut-être à jour une certaine naïveté idéologique et sociologique, mais on reproche à l’écrivain ce qui avait été partie prenante du succès de son premier livre : les différents régimes de langage. Là où l’on voyait les mérites d’un jeune homme ayant grandi avec et par les livres, par l’art et la culture, on fustige maintenant un mépris de classe et une honte de soi.
Qui sait si Quentin Tarantino regrette le temps où l’ensemble de la presse – ou presque – louait son travail pour Reservoir Dogs, Pulp Fiction, les deux Kill Bill ou encore Boulevard de la mort. Cinéaste assumé de la référence cinéphilique, l’Américain est aujourd’hui accusé de truffer les Huit Salopards de références à sa propre filmographie, alors même, me semble-t-il, qu’il semble entrer dans un âge adulte, et qu’il revisite sans son dictionnaire du cinéma à la main les thématiques qui lui sont chères, celles de la loi et de la justice.
Qui sait si Jean Echenoz regrette le temps où l’ensemble de la presse – ou presque – louait son travail pour Je m’en vais, Ravel ou 14. Alors que sort Envoyée spéciale, nombreux sont les critiques à s’offusquer de ce que l’ancien lauréat des prix Médicis et Goncourt se fourvoie dans un roman d’aventures loufoques, alors même qu’Echenoz porte ce genre à un niveau rarement atteint de sophistication et de maîtrise, sans rien céder ni au burlesque, parfaitement assumé, ni à une langue d’une limpidité et d’une précision toujours redoutable d’efficacité narrative.
Un début de carrière est plus difficile à vivre face à une critique versatile. Des auteurs affirmés peuvent peut-être se payer le luxe de ne plus prêter attention à ce que l’on écrit sur eux. Toute la question est de savoir si les plus jeunes auront à souffrir de ces accueils changeants, ou s’ils sauront en tirer parti pour travailler leurs points faibles. Mais ce qui serait le plus dommageable, c’est que les plus anciens soient soudain frappés d’hésitation face à un accueil plus nuancé de leurs travaux au moment de poursuivre plus avant leur recherche artistique.
Arnaud Laporte
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