Bâtir un spectacle à partir d’informations scientifiques, faire de la connaissance un divertissement, amener du complexe jusque sur le devant de la scène sont des entreprises éminemment casse-gueule. Des naufrages, on en a vu pas mal dans ce domaine, car les écueils sont nombreux : le didactique, le documentaire, l’édifiant, ou tout bonnement l’absence de qualités artistiques. Si la science peut faire réfléchir, il est extrêmement difficile d’en tirer des émotions ou du rire. Certes Alain Resnais et Jean Gruault avaient, en leur temps, montré la voie avec Mon Oncle d’Amérique, captivante plongée dramatico-bretonne dans le cerveau, mais ce genre de prouesses restait alors exceptionnelle.
Aussi est-il surprenant de voir aujourd’hui de plus en plus de créateurs aller puiser dans des sujets technico-scientifiques ou économiques la matière de leurs productions. Plus surprenant encore est de constater que les réussites sont de moins en moins rares. La meilleure preuve : l’Américain Adam McKay est parvenu, avec The Big Short, à bâtir un film palpitant à partir de la crise des subprimes (sujet complexe s’il en est) en se payant le luxe d’enrôler dans l’affaire rien moins que Brad Pitt, Ryan Gosling, Steve Carell et Christian Bale.
Depuis quelques années, le metteur en scène Jean-François Peyret a de son côté fait mieux de réveiller les cendres de Darwin, Alan Turing, Galilée ou Steve Jobs : il en fait des spectacles intelligents et subtils. L’an dernier, avec Le Principe (Actes Sud), l’écrivain Jérôme Ferrari a réussi à faire de la physique théorique un sujet de roman. Et voilà maintenant que se développe la veine des vraies-fausses conférences scientifiques où s’illustrent des David Wahl, Jean-Yves Jouannais, Frédéric Ferrer, Alexandre Astier ou encore Sébastien Barrier, s’emparant de sujets aussi peu folichons que le climat, la guerre, la géographie, l’astronomie ou la faune antarctique. Et ce au moment même où la presse scientifique est délaissée par ses lecteurs, et la recherche considérée avec une suspicion croissante. Cette concomitance n’est peut-être pas fortuite. Si ces spectacles ont du succès, c’est peut-être parce que le public a envie de s’instruire sans douleur, mais c’est plus probablement parce que nous en avons marre de la parole de l’expert, lequel fut jusqu’à présent le principal vecteur de la connaissance scientifique. Si la science est vraiment une culture, alors qu’elle le démontre avec les moyens de la culture, de l’art, de la fiction, de la transgression, de la poésie pourquoi pas. Qu’elle se dévergonde un peu, nom de dieu !
Il semble qu’elle y arrive enfin, grâce à des artistes qui savent tirer de la littérature scientifique des histoires sensibles, et pour qui la vulgarisation n’est qu’un objectif secondaire.
Édouard Launet
À lire également : “Kyoto Forever2, la COP est vaine”, par René Solis.
Histoire spirituelle de la danse, de David Wahl. Théâtre Anne de Bretagne, Vannes, du 3 au 5 mars.
La visite curieuse et secrète, de David Wahl. Musée de la Chasse et de la Nature, Paris, mercredi 9 mars.
Cartographie 3 : Les déterritorialisations du vecteur, de Frédéric Ferrer. Espace Culture – Université de Lille 1, mercredi 23 mars
L’Exoconférence, d’Alexandre Astier. Montpellier, Zénith Sud, les 8 et 9 juin 2016. AccorHotels Arena/Bercy, Paris, 11 juin.
Savoir enfin qui nous buvons de Sébastien Barrier. Grand Foyer, Capendu, 27 février. La Garance, théâtre de Cavaillon, les 4 et 5 mars. La Halle aux grains, Scène nationale de Blois, les 12 et 13 mars. Mons la Trivalle, 18 mars. Château de Sériège, Cruzy, 19 mars. ATP d’Uzès, 25 mars. Montblanc, 26 mars. Portiragnes, 27 mars.
Chunky Charcoal de Sébastien Barrier, Benoît Bonnemaison-Fitte, Nicolas Lafourest. Le Cent-Quatre, Paris, les 16 et 17 février. Le Monfort, Paris, du 18 au 20 février. Le Boulon, Centre National des arts de la rue, Vieux-Condé, le 18 mars.
[print_link]
0 commentaires