L’absence est une question essentielle dans l’histoire de l’art. Avec quatre exemples dans l’actualité, comme autant de tentatives de répondre à ce drame intime de nos vies, nous verrons que tous les sens peuvent être convoqués, mais qu’il en est un qui surpasse tous les autres : l’ouïe.
Dans Le réveil de la Force, il s’agit de retrouver Luke Skywalker, disparu dans une galaxie inconnue après l’échec de son centre de formation interstellaire pour Jedi. Au cours du film, la nouvelle héroïne de la saga, Rey, entend des voix. L’affaire est “entendue”, littéralement, puisque l’on sait que celles et ceux qui ont la Force sont sujets à des acouphènes. On apprend d’ailleurs dans la coulisse que l’une des voix entendues est un mix entre celle d’Ewan McGregor, venu faire un caméo sonore très discret, et celle d’Alex Guiness, acteur de la première trilogie, et jamais tout à fait mort, comme le prouve sa voix venue d’outre-tombe pour cet épisode VII.
Les voix des morts, c’est le sujet du court, passionnant et bouleversant ouvrage de Ryoko Sekiguchi, qui vient de paraître chez POL. Intitulé La Voix sombre, écrit dans une langue minimale et superbe, il interroge l’éternel présent de la voix enregistrée, et la difficulté mais aussi l’amer réconfort pour le survivant d’écouter la voix enregistrée d’un cher disparu. L’auteure japonaise, vivant en France depuis une vingtaine d’années, et écrivant en français depuis 2003, nous plonge dans des abîmes de réflexion sans pathos aucun, au travers d’une constellation de réflexions impressionnistes. Je n’en livrerai qu’une, parmi cent, témoin de cette économie de mots remarquable : “Les fantômes sont des existences qui visitent. C’est leur qualité principale.”
Il me faut encore parler de la voix enregistrée d’Elisabeth Schwarzkopf, que l’on retrouve dans le coffret de l’intégrale de ses récitals, de 1952 à 1967, publié chez Warner Classics. Emotion immense, là encore, que de suivre, en 31 CDs, l’évolution de la voix d’une des plus grandes sopranos du XXe siècle, et la qualité sans cesse améliorée de son interprétation du grand répertoire, des arias de Mozart aux lieder de Schumann. Dans le cas d’une chanteuse, l’enregistrement va de soi, mais concernant des récitals, il apporte une intensité particulière, en restituant quelque chose du moment même de l’interprétation. C’est en cela qu’il est émouvant.
Émouvant, ô combien, le film Valley of Love, de Guillaume Nicloux, qui vient de paraître en DVD et Blu-Ray. Isabelle Huppert et Gérard Depardieu, absents l’un à l’autre depuis 35 ans sur les écrans, sont réunis dans ce film pour jouer deux personnages qui se retrouvent autour d’une absence, celle de leur fils, qui s’est suicidé six mois plus tôt et leur a donné rendez-vous dans la Vallée de la Mort, dans une lettre postée juste avant sa disparition. L’acmé de ce film est sans doute le moment où la mère demande au père de lire la lettre de leur enfant à haute voix. Soudain, la voix de Gérard Depardieu fait entendre la voix du fils disparu. C’est là une forme de résurrection, amplifiée par la promesse incompréhensible que le mort fait d’apparaître aux vivants. Il le fait, je crois, à l’instant même de la lecture. Isabelle Huppert pleure. Moi aussi. Puissance évocatrice de la voix.
Arnaud Laporte
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