Lissette Orozco n’a jamais connu ni père ni mère, adolescents sortis du paysage dès sa naissance. Elle a grandi entre grand-mère et tantes, avec une affection particulière pour Adriana, que tout le monde appelle Chany. Chany, celle qui a échappé à la grisaille petite bourgeoise, celle qui rentre régulièrement d’Australie chargée de cadeaux, jupe courte sur genoux bronzés, grand rire. Libre. Mais un jour, au début des années 2000, la police chilienne cueille Adriana Rivas à l’aéroport. Elle est accusée d’avoir été un membre – enthousiaste – de la DINA, police politique sous Pinochet, et directement participé à la torture des prisonniers.
Ici commence le premier film réalisé par Lissette Orozco, intime, bousculé, avec vidéos familiales bancales, où certains parents ont fait flouter leurs visages, avec longues conversations par Skype, portables, une investigation erratique et cruelle au sein d’une famille portée sur le silence, et d’un pays qui oublie. Adriana-Chany est-elle coupable, ou innocente comme elle le clame ?
Mais l’enquête, qui oblige à scruter les visages, celui, délibérément neutre de la nièce qui interroge, celui, tempête d’expressions, de la tante, n’est pas celle que l’on imagine. Assez vite, les témoignages accablants, les multiples photos aux côtés des pontes de la DINA, le copines d’autrefois dont celle que l’on surnommait miss Cyanure car elle s’y entendait pour achever les torturés, les dérapages (ces communistes étaient têtus, fallait bien) tout cela laisse peu de place au doute. Et Adriana Rivas, placée sous contrôle judiciaire, s’empresse de s’envoler pour l’Australie.
Lissette Orozco, visage fermé, assiste à un terrifiant meeting des nostalgiques de Pinochet (important, et avec de nombreux jeunes). Visage impassible, elle va à la rencontre de ceux qui inventorient les années de dictature (jeunes aussi, souvent). C’est un portrait en creux du Chili, de ses fractures persistantes, ce que la réalisatrice dans une interview nomme les « dommages transgénérationnels ». L’enquête détruit progressivement le secret familial, national.
Tante Chany joue le jeu. Elle attend de sa nièce un film en défense. Lissette Orozco à un moment, dit que sa tante a essayé de la manipuler. En effet, mais arrive un instant où la manipulation change de côté, au nom de la vérité devenue nécessaire pour la jeune femme. Ce que Chany comprend, mais un peu tard.
Le formidable tissage, entre histoire familiale et histoire tout court est passionnant : Le Pacte d’Adriana, de bric et de broc (et grâce à cela, son inachèvement choisi) a été récompensé du prix de la paix à la dernière Berlinale, primé au Festival du film de femmes de Créteil, et sélectionné dans de nombreux festivals. Côté Arte, il est diffusé dans le cadre de la Lucarne (dévolue aux documentaires de création). Très juste mais tardif : le 4 décembre à 00:50. Replay pendant une semaine, et, espérons-le, un peu plus…
Dominique Conil
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